De Vilanova à je ne sais pas encore où, la descente vers le Sud se poursuit enfin sans encombre. Ni tempête ni armée de pêcheurs, ni champs de bosses ni slalom spécial: la navigation ressemble étrangement à une navigation. Paisible plaisir. Ce 25 décembre est, depuis mon départ de La Ciotat, ma plus belle journée en mer. Un anticyclone, situé au dessus de l'Espagne, m'offre de belles conditions, avec environ 10-15 noeuds de vent et une mer plate, TaraTari et moi longeons les côtes à 4 noeuds et mangeons deux clémentines pour fêter ça.
C'est Noël, ça doit être un petit cadeau du vent. A propos de Noël, le journal Ouest France m'a demandé d'envoyer un petit texte et une photo sur laquelle je dois souhaiter un joyeux noël en breton. (lire l'article) Au coeur de la Catalogne, j'écris en breton à bord d'un bateau bangali. Rien de plus normal.
joyeux noël en mer et en breton |
Et ce n'est pas tout. En ce 25 décembre, une autre surprise, venue d'un autre pays s'invite à bord! Nicolás, qui était mon voisin de ponton à Barcelone, est Argentin, il sait à peu près vers où je dois me trouver car je donne toujours quelques nouvelles aux personnes quittées à la dernière escale. Nico a pris le train, un train qui longe la côte et à repéré les jolies voiles oranges de TaraTari, un peu plus au sud de Vilanova. Je reçois un texto "Te veo desde el tren". Au début je ne comprends pas vraiment, et ne réponds pas. Deux heures plus tard, alors que je suis tranquillement entrain d'avancer, je vois un gros semi rigide venir de la côte. Il se dirige vers mon étrave et en quelques minutes l'embarcation arrive à ma hauteur. "Sorpresa!" c'est Nicolás et son accent argentin! Il me demande s'il peut monter à bord un petit moment. J'hallucine complètement. Comment a-t-il fait pour me retrouver et arriver ainsi? Je ne sais pas mais je trouve ça bien sympa. Petits morceaux de fromage, de jambon serrano, olives et berberechos, nous improvisons un petit apéro de noël, et passons un agréable moment à discuter. A bord, il téléphone à son père, à sa grand-mère qui sont en Argentine, et leur dit avec un sourire grand comme ça "vous ne devinerez jamais d'où je vous appelle! je suis à bord de Tara Tari!!" il leur raconte l'histoire du bateau, le décrit enchanté. Et c'est ainsi qu'en Argentine, une famille entière suit désormais l'aventure d'un petit voilier de pêche du Bangladesh. Cette visite surprise a été tout aussi surprenante que sympathique. Nico rêve de traverser l'Atlantique sur son voilier pour rentrer dans son pays et aujourd'hui il décide de se donner un an pour se préparer et partir.
Tara Tari a touché l'Amérique du Sud.
Bien que les conditions de la nuit restent agréables, il fait vraiment froid. Je passe le Cap de Salou en pleine nuit. Comme tout passage de cap, il faut être très attentif et vigilant, car un cap veut souvent dire qu'il y a plus de vent et plus de vagues. Effets de site, comme on dit. En effet, plus de vent et plus de vagues, mais le phare du Cap de Salou est désormais derrière. Et malgré l'heure tardive, je propose à TaraTari une petite assemblée générale extra ordinaire : "mon cher bateau, je crois que nous devons revoir notre stratégie et essayer d'arrêter de passer tous ces périlleux caps de nuit. La réunion se passe bien et après nous être tous les deux exprimés sur le sujet, nous décidons d'écrire un courrier au syndicat du bureau de représentation la Mer Méditerranée.
"Madame, Monsieur,
Nous, sous-signés TaraTari & Capucine, souhaitons vous remercier pour votre accueil.
C'est avec toute notre bonne volonté que nous essayons de naviguer discrètement le long des côtes depuis plus d'un mois maintenant mais les conditions rencontrées ne sont pas toujours évidentes. Nous ne voulons pas vous déranger en cette période festive et familiale, mais serait-il possible d'envisager une rencontre et ainsi étudier ensemble la possibilité de réveiller le soleil à notre approche des caps, ou encore celle de déplacer ces derniers sur la côte en fonction de notre progression afin que nous puissions les passer aux heures ouvrables du soleil, soit entre 9h-17h30.
Ce serait drôlement chic de votre part.
Nous restons à votre disposition et vous prions de croire en notre sincère motivation,
Nous vous adressons, Madame, Monsieur, ainsi qu'à Madame Mer Méditerranée, nos meilleurs voeux pour l'année 2012,
Cordialement,
TaraTari et Capucine "
J'appose le tampon "Tara Tari", à côté de nos signatures.
Quand le jour se lève, c'est toujours une petite délivrance, car je sais que peu de temps après, le soleil va commencer à me réchauffer un peu. Il fait tellement froid la nuit. C'est assez éprouvant.
Il est 8h du matin et alors que je suis dans la cuisine en pleine préparation d'un thé, quelque chose me pousse à sortir la tête dehors. Au moment où je me tourne vers l'extérieur, je vois l'étrave rouge d'un bateau de pêche à deux mètres du derrière de TaraTari! Je bondis à l'extérieur!
A bord du bateau de pêche rouge qui est désormais juste à côté, trois hommes sont sur le pont. "Hola?!" je suis surprise et interrogative. Les hommes ont le sourire. L'un d'eux, le plus âgé, a les cheveux blancs et la barbe qui va avec, me dit qu'ils étaient surpris de voir un voilier par ici, et qu'en s'approchant ils n'ont vu personne à bord, ils voulaient savoir si tout allait bien... "Ah, c'est gentil, tout va bien! J'étais à l'intérieur pour me préparer un peu de thé car il fait bien froid!" Les hommes sourient, et me disent qu'il est vraiment rare de voir un voilier à cette saison et... encore plus mené par une femme. Un autre, plus jeune, s'amuse de me voir habillée avec mon ciré jaune et mon bonnet, "Tu es comme nous!"; C'est vrai, et je suis aussi à bord d'un bateau de pêche! Quelques mots bien gentils et nous nous souhaitons "Feliz Navidad!" et ils repartent vers le large. Je garderais toujours en tête le souvenir de cette apparition, de ces pères noël pêcheurs, à bord de leur joli bateau rouge.
Le vent est bon, la mer aussi. Nous continuons vers le Sud. TaraTari avance toujours à 3-4 noeuds. Tout va bien à bord.
L'approche du Delta de l'Ebre est délicate car il y a énormément de fermes piscicoles, de hauts fonds sableux et de rochers isolés. Et évidemment, il fait nuit quand nous arrivons là où tout se complique. Ce n'est jamais évident d'évaluer les distances la nuit. Parfois une bouée qui semble loin s'avère être tout près et une autre qui semble tout près est en fait très loin. D'où l'importance de faire très régulièrement le point sur la carte pour bien valider la position et le cap à suivre. C'est chaud car cette nuit le vent est plus fort, mais tout se passe bien.
Au pied du Delta de l'Ebre, le tout petit port de pêche de L'Ampolla, devient mon objectif. Et évidemment c'est en pleine nuit et à la voile, que j'arrive dans ce tout petit port. TaraTari amarré, les voiles rangées, je suis contente d'être arrivée après cette superbe nav.
Mais je suis frigorifiée. Je prends une douche chaude à la capitainerie, je me couvre avec toutes les épaisseurs (humides...) que je peux, bois un peu de thé, mais je n'arrive pas à me réchauffer. Au port, un panneau lumineux indique qu'il fait 1°C. Je tremble de froid, mais de fatigue aussi. A bord de TaraTari, je me glisse toute habillée dans mon duvet, le bonnet vissé sur la tête et je m'endors en quelques secondes seulement. C'est impressionnant, cette capacité qu'à le corps à faire face au froid et à la fatigue en mer, alors qu'une fois à terre, tout se relâche si vite.
C'était une belle, très belle navigation. A part un problème de pilote (souci de connexion du calculateur d'angle de barre etc), je suis contente: toujours aucune avarie à bord de TaraTari, si ce n'est que je ne peux toujours pas me servir du moteur. Il faudrait que je le démonte pour nettoyer les filtres, vérifier le piston et tout et tout.. Pour le moment et depuis la Ciotat, c'est du 100% à la voile.
Là je suis à l'Ampolla et c'est la tempête.
Nous sommes à l'abri, au pied du Delta de l'Ebre, mais cet endroit est très dangereux... C'est ici, au cap de Tortosa, que Bernard Moitessier avait fait naufrage. Nous allons faire attention et attendre le bon moment pour repartir.
Bonne année 2012 à tous,
Capucine
Et elle t'a répondu la Mère Méditerranée ?
RépondreSupprimer