mardi 29 janvier 2013

éprouvant et pourtant

En mer. les 28, 29, 30, 31 décembre 2012.

Il fait nuit et tout va encore trop vite. La GV est affalée. La houle est grosse et toujours aussi croisée. Il est environ 5h du matin quand le petit pilote automatique, le dernier des 3 que j'ai, lâche. Le moteur a brûlé. Il bippe son désespoir et ce bruit strident est insupportable. j'ai tout débranché, mais il bippe encore. Et le vent se renforce, siffle dans les haubans. La bande son parfaite d'un film d'horreur. La fin de la nuit est pénible, sans lune, sans répit. Il va désormais falloir barrer 24h/24h.


Les pieds sont dans l'eau depuis des jours, et être assis là, les fesses dans l'eau sans possibilité de sécher devient vite un peu douloureux. Je n'en peux plus de ce harnais trempé qui me serre la taille. Faire abstraction. Il faut être très concentré, parce que dans cette houle barrer est un exercice sportif et cérébral: anticiper chaque onde d'eau, cela signifie aussi avoir sans cesse la tête qui pivote au dessus de l'épaule.

Parfois, le grondement d'une déferlante annonce le vrac. J'ai remarqué que ça fonctionne par série de 3: la première déferle bruyamment, épargne le bateau mais le fait accélerer. La mauvaise, c'est la 2nde, peut-être vexée d'être deuxième, j'ai l'impression qu'elle met toute sa force pour baffer la coque et nous coucher comme des mauviettes. La troisième ajoute une couche un peu salée, mais avec un peu plus de pitié. Couchés sur le flanc nous nous redressons toujours. Indemnes mais lessivés, nous poursuivons malgré les coups de mer.


La nuit du 29 décembre est assez terrible. Vers 02h du matin, nouveau vrac. Le mât dans l'eau, etc. A l'intérieur, c'est n'importe quoi: même les planchers de la couchette ont bougé. Tout est trempé dedans et nous avons froid. Impossible de se nourrir dans un tel chaos. Nous affalons ce qu'il reste de GV, mais le vent monte encore, entraîne la mer dans son ascension. A 4h du matin, nouveau gros vrac. Vautrés, encore. Tara Tari se redresse. Maxime est à la barre, je sors constater les dégâts sur le pont. L'océan est en furie vu d'ici mais il va falloir prendre une décision importante: dans ce vrac, le point d'amure du foc a cédé. La voile d'avant n'est donc plus attachée au pont et risque de monter en haut de l'étai. A la lumière de ma frontale, j'éclaire le chaos. L'étrave de TaraTari est bien malmenée, d'un côté de l'autre, les vagues de côté le recouvrent. La situation est assez violente. Et là, en capitaine responsable, je dois réfléchir: "Qu'il y a-t-il de moins dangereux: aller manoeuvrer à l'avant ou risquer de voir le foc se carapater en haut de l'étai?" Pas le temps de réfléchir trop, et de toute façon la réponse est évidente, il faut sécuriser le bateau. Le vent siffle dans les haubans et les embruns nous fouettent le visage. On essaie de parler mais tout est trop bruyant. J'indique à Maxime que je vais aller devant, on échange nos longes, car la sienne a deux points d'accroche. Il va falloir que je sois extrêmement vigilante. J'arrive au mât, c'est déjà une bonne chose de faite, je fais un signe avec le pouce à Maxime pour lui dire que je suis en sécu. J'attache un des mousquetons à barre transversale des dérives. Je ne connais pas la force du vent, mais c'est assez impressionnant. Alors que je suis en train d'affaler la drisse du foc, le vent, qui me fouette le visage, m'arrache une lentille de contact de l'oeil. L'autre était tombée au moment où j'allais la mettre dans mon oeil. Je suis myope et ce n'était clairement pas le moment de ne plus rien voir. Je râle dans ma tête mais reste concentrée. Pas de précipitation mais il faut faire vite, avant que le foc ne soit trop haut; dans cette mer, impossible de se mettre debout à l'avant. J'avais pris des bouts, donc une fois à l'avant l'idée est de ferler comme je peux la voile. J'ai un bras enroulé autour d'un chandelier, la manoeuvre est vraiment périlleuse. Les vagues me passent dessus. C'est bon, la voile est sécurisée. Nous sommes désormais à sec de toile et je reviens vers l'arrière en faisant encore bien attention. Arrivée au mât, je souffle, et poursuis vers le cockpit. Maxime est très concentré à la barre, il me dit d'un ton inquiet "j'ai hâte de te voir dans le cockpit". Voilà, j'y suis. Si le bateau est safe, nous le sommes aussi, c'était ce qu'il fallait faire.

A sec de toile donc dans cet océan Atlantique sombre animé, nous sommes en fuite, filons à 4,5 noeuds et arrivons à gérer notre route grâce au petit bout de la ralingue de gv encore dans le rail.

Le 30 décembre.
Cartouche; ça ne se calme pas. On a vraiment froid et tout est trempé. On claque des dents. La fatigue, le stress et le vent nous usent. A l'intérieur, à chaque relève de barre, nous nous réchauffons avec la couverture de survie ou en écopant l'eau qui entre d'on ne sait où dans le bateau. C'est exténuant tout ça.


Nous sommes à 275 milles de Sao Vincente, notre île refuge, et la situation s'améliore légèrement. De quoi ré-envoyer un peu de voile d'avant, c'est plus stable et nous sommes plus manoeuvrants et nous reprenons notre route. Mais ça reste dur. Nous ne faisons que nous croiser car à chaque relève de barre, il faut tenter de vite se reposer, et fermer vite la descente, nous prenons le temps de rassurer l'autre "tu verras ça réchauffe de barrer!". Pas le temps ni la possibilité de vraiment se nourrir. Une vache qui rit fera l'affaire. Nous sommes usés mais gardons le moral, et le sourire. C'est important.

le 31 décembre.
La mer est grise, blanche, je repense aux images de Bernard Stamm au large du Portugal, l'une des plus belles photos de course que je connaisse. Et ces haubans qui sifflent depuis plusieurs jours maintenant, c'est pénible. Mais nous arrivons à garder notre sens de l'humour et prenons les choses relativement bien. Seulement ce soir c'est le réveillon et en effet, ça va être la fête.


Il n'est pas 01h et nous sommes le 1er janvier 2013; je suis à la barre quand une déferlante arrive sur le côté, je ne peux rien faire. puisque j'essaie déjà de contrôler la houle de derrière. Je regarde impuissante le mur d'eau se dresser sur notre côté, j'enroule mon bras autour du chandelier et vlan, nous voilà couchés. J'ai les jambes dans l'eau, le bras autour du chandelier, mon harnais qui me tient et ma main toujours accrochée à la barre, le bateau se redresse et je suis inquiète: aucun signe de Maxime qui était à l'intérieur. Je crie, l'appelle.. et s'il s'était pris une boîte de conserve sur la tête. Mais la descente s'ouvre, Maxime s'est pris un plancher et un bidon pourtant amarré et s'est retrouvé un peu bloqué. Ouf. je soupire, soulagée, il va bien. Mon quart se termine et je claque des dents de froid. Maxime est à la barre depuis 5 minutes et nous parlons un peu quand je vois se dresser derrière lui un mur d'eau, "attention, derrière!!" j'ai tout juste le temps de fermer la descente que le mur d'eau s'éclate contre la vitre de la descente. Heureusement... C'est par ces vagues qui déferlent à l'intérieur du bateau que beaucoup chavirent. Nous sommes encore couchés, mais au moins épargnés d'une fortune de mer.
Bonne année.

La situation est éprouvante et pourtant nous tenons bon. Tara Tari n'a rien cassé et nous allons bien malgré la grande fatigue.

Capucine

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