mercredi 9 novembre 2011

90° en Bretagne

Samedi 5 Novembre. Le défi du matin, faire "subir" à Tara Tari un "test de redressement". Comment ça un redressement? Qu'a fait notre Tara Tari? Je l'imagine, dérives menottées, voiles affalées, et triste. Pauvre Tara Tari. On va te sortir de là, t'inquiète.

Redressement: honnêtement, je n'aime pas beaucoup ce mot. Ça arrive, de ne pas beaucoup aimer un mot. Quand on dit "redressement", je pense à "fiscal" ou "judiciaire". Sympa la connotation. Si j'avais été un mot, perso, j'aurais voulu en être un autre. Enfin, c'est comme ça, les mots non plus ne doivent pas choisir leurs origines.  Mais que le mot "redressement" se rassure, dans le Dictionnaire (Petit Larousse), toutes ces tristounes histoires de droit ne viennent qu'en petit 3. En petit 2, il y a un truc d'électricien : "Transformation d'un courant alternatif en un courant circulant toujours dans le même sens" - je note. ça peut toujours me servir, il y a un tableau élec à bord. Et en petit 1, il est écrit " Action de se redresser; fait de se redresser. Redressement de la situation." Et ça, ça va. C'est assez optimiste. Nous allons donc nous concentrer sur cette mise en pratique du petit 1 du Dictionnaire et voir si le bateau que l'on va coucher, arrive à se redresser tout seul.

Un test de redressement est une pratique courante pour un bateau. Ce n'est jamais agréable à vivre - ni pour le bateau ni pour ceux qui ont un peu d'humanité envers les voiliers. Le principe est bon pourtant: ce test permet de vérifier si le bateau qui aurait été couché par une vague ou un mauvais coup de vent ou n'importe quelle autre mauvaise raison, est capable de se redresser tout seul. Au Bangladesh, Corentin avait déjà effectué ce test, mais après le chantier que j'ai mené, le bateau ne réagit plus tout à fait de la même manière. Faire ce test est important. Question de sécurité.



Impressionnant. Le bateau est couché. Je ne respire plus très bien, je ne suis pas certaine-certaine d'adorer voir Tara Tari tremper le bout de sa béquille de flèche babord dans l'eau. Bateau couché. Apnée.

Ce matin, ce n'était pas gagné. Tout n'est pas prêt et Corentin a un train à prendre. A midi et demi nous devrons être partis à la gare, et d'ici là, il faut s'assurer que les premières strat de ma vie tiennent, et si oui, les percer pour passer des bouts qui retiendront les bidons dans le fond, il faudra donc remplir les bidons, mais il faut aussi trouver du lest supplémentaire, car depuis que j'ai retiré les réservoirs d'eau du bateau, il manque du poids dans le fond, remettre le radeau de survie à poste, et la liste n'est pas finie. Il y a du challenge. On se sépare, on sera plus efficace; Corentin gère le perçage des strats et je file au port de pêche, il y a quelqu'un là bas qui répare des chalutiers qui pourra certainement m'aider à trouver de quoi lester. "J'ai récupéré des geuses de plomb dans les fonds d'un bateau de pêche en fin de vie". Nous voilà partis dans un vieux hangar du port, pour peser les gueuses. Il me faut 50kg. Deux gueuses de 20kg, et par bonheur une de 10kg! Top, je charge ça dans le coffre. "Merci Patrice!" et je file au bateau. Improvisation de poignées avec des bouts, et nous portons le plomb, à deux jusqu'au bateau. Un peu d'un bateau de pêche d'ici va accompagner notre petit bateau de pêche du Bangladesh.
Corentin fixe tout ça dans le fond, et j'amarre le radeau. Le bateau n'est pas aussi lourd qu'il le sera au moment du départ, mais si il ne tient pas avec un peu de poids, cela signifie qu'il tiendrait encore moins avec plus de poids. Nous virons tout ce qui peut "voler" un peu plus loin que nécessaire, genre les jumelles, une boîte d'amandes et des outils. La mission du jour est sur le point de se réaliser.

Nous sommes tous les deux pour faire le test. Il y a du vent, du crachin qui devient pluie et le ciel gris: merci la météo de nous soutenir avec tant d'enthousiasme. Nous libérons un peu les amarres pour écarter le bateau du ponton. La manip consiste à hisser un palan en tête de mât avec une des drisses que nous ramenons au ponton, pour ramener doucement la tête de mât vers nous. Et voilà, le mât est à l'horizontal. 90° en Bretagne, heureusement que cela n'arrive pas souvent. J'imagine une tempête et je respire profondément et tiens fort le bout qui retient le mât entre mes mains. Corentin est au niveau du haut du mât, jauge à l'estime le poids qu'il met en appui sur le mât et vérifie que le bateau cherche à se relever tout seul. Le moment est assez fort. "20 - 30 kg" estime-t-il. Nous sommes concentrés, inquiets et en même temps confiants. Comme des parents qui attendraient le résultat d'un examen de santé de leur enfant. Verdict docteur? "Il va s'en sortir" nous aurait rassuré un médecin. Car l'intention est bonne, Tara Tari tente de se redresser! C'est un succès! Quelques centimètres seulement suffisent pour savoir si le bateau va dans le bon sens - le mauvais sens aurait été qu'il se retourne, tête de mât dans l'eau, coque en l'air. une autre mauvaise réaction aurait été de voir le bateau rester couché, qui n'aurait pas chercher à se relever. Mais ça, ne pas chercher à se relever, ce n'est pas dans le caractère de notre beau voilier.

Test de redressement réussi, à Lorient le 5 novembre 2011
Nous aidons le bateau à se redresser en douceur. "Tu tiens bon, hein?" me lance Corentin. "Oui, je tiens bon, on peut y aller". Il faut tenir, car ce petit farceur de Tara Tari peut s'amuser à faire catapulte. Mes bras sont costauds - des heures de meuleuse. Voilà, en douceur, le bateau se relève. Tara Tari est debout sur l'eau, et se tient bien droit. Pour notre plus grande fierté.

Le bateau est bien amarré, pas de temps à perdre, nous filons. Le vent siffle dans la Tour des Vents et la structure métallique de la passerelle, sonne une étrange mélodie. Le drapeau du Bangladesh flotte dans le ciel de Bretagne. Corentin doit se rendre à l'autre bout de la France, pour un festival d'aventures et ne reverra Tara Tari qu'au moment de mon départ, à la Ciotat.

Where is Tara Tari ?
Nous quittons le port. Il est 12h29. Parfait, horaire respecté. Nous roulons vers la gare et nous nous félicitons de ce test réussi. Je ne suis pas très bavarde. Dans la voiture, Corentin m'interroge "ça ne va pas ?" "si, ça va.." je ne sais pas trop pourquoi je suis silencieuse. Je revis la scène, le bateau couché, le crachin... le bateau s'est redressé et c'est un vrai soulagement qui me permet de relâcher un peu la pression de la préparation. Le rythme est assez soutenu depuis plusieurs mois.

A la gare, il y a beaucoup de monde sur le quai, et je n'ai jamais été à l'aise dans la foule. Je tente de faire abstraction. Corentin sourit "bientôt tu seras tranquille, sur l'eau". Quelques mots en attendant un train, morceaux choisis de partages depuis la mise à l'eau du bateau. C'était bien. Dit comme ça, c'est sûr, ça fait un peu cliché mais bon, il y a forcément un peu d'émotion. Nous comptons sur les mains, les priorités de ce que je dois encore faire pour la préparation du bateau. Le train arrive. "Bon et bien, on se voit à La Ciotat". Pour le vrai au revoir. Pour le vrai départ.

Le train est parti et je suis retournée au bateau, ranger quelques affaires.
La pluie est froide, je m'accorde une petite sieste à l'intérieur du bateau.
Un petit peu de repos, à l'horizontal, et je me redresse.

Capucine

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire