A l'abri, dans un tout petit port de pêche,
TaraTari est amarré au pied d'un olivier.
Une tempête a décidé de réveillonner au Delta de l'Ebre.
Capucine.
C'est l'histoire d'une jeune femme et d'un joli petit bateau. Ensemble, ils se sont soignés et ont décidé de partir s'amuser et voyager. Suivez les aventures Capucine et Tara Tari! Tout au long de son périple, Capucine Trochet va à la rencontre des personnes et des cultures, apporte son témoignage, apprend de ces échanges. Elle partage son expérience, sa simplicité et son idée que le bien-être est accessible à celui qui veut bien comprendre et prendre le temps.
samedi 31 décembre 2011
nav jusqu'au Delta de l'Ebre
24-25-26-27 décembre 2011. En mer.
De Vilanova à je ne sais pas encore où, la descente vers le Sud se poursuit enfin sans encombre. Ni tempête ni armée de pêcheurs, ni champs de bosses ni slalom spécial: la navigation ressemble étrangement à une navigation. Paisible plaisir. Ce 25 décembre est, depuis mon départ de La Ciotat, ma plus belle journée en mer. Un anticyclone, situé au dessus de l'Espagne, m'offre de belles conditions, avec environ 10-15 noeuds de vent et une mer plate, TaraTari et moi longeons les côtes à 4 noeuds et mangeons deux clémentines pour fêter ça.
C'est Noël, ça doit être un petit cadeau du vent. A propos de Noël, le journal Ouest France m'a demandé d'envoyer un petit texte et une photo sur laquelle je dois souhaiter un joyeux noël en breton. (lire l'article) Au coeur de la Catalogne, j'écris en breton à bord d'un bateau bangali. Rien de plus normal.
Et ce n'est pas tout. En ce 25 décembre, une autre surprise, venue d'un autre pays s'invite à bord! Nicolás, qui était mon voisin de ponton à Barcelone, est Argentin, il sait à peu près vers où je dois me trouver car je donne toujours quelques nouvelles aux personnes quittées à la dernière escale. Nico a pris le train, un train qui longe la côte et à repéré les jolies voiles oranges de TaraTari, un peu plus au sud de Vilanova. Je reçois un texto "Te veo desde el tren". Au début je ne comprends pas vraiment, et ne réponds pas. Deux heures plus tard, alors que je suis tranquillement entrain d'avancer, je vois un gros semi rigide venir de la côte. Il se dirige vers mon étrave et en quelques minutes l'embarcation arrive à ma hauteur. "Sorpresa!" c'est Nicolás et son accent argentin! Il me demande s'il peut monter à bord un petit moment. J'hallucine complètement. Comment a-t-il fait pour me retrouver et arriver ainsi? Je ne sais pas mais je trouve ça bien sympa. Petits morceaux de fromage, de jambon serrano, olives et berberechos, nous improvisons un petit apéro de noël, et passons un agréable moment à discuter. A bord, il téléphone à son père, à sa grand-mère qui sont en Argentine, et leur dit avec un sourire grand comme ça "vous ne devinerez jamais d'où je vous appelle! je suis à bord de Tara Tari!!" il leur raconte l'histoire du bateau, le décrit enchanté. Et c'est ainsi qu'en Argentine, une famille entière suit désormais l'aventure d'un petit voilier de pêche du Bangladesh. Cette visite surprise a été tout aussi surprenante que sympathique. Nico rêve de traverser l'Atlantique sur son voilier pour rentrer dans son pays et aujourd'hui il décide de se donner un an pour se préparer et partir.
Tara Tari a touché l'Amérique du Sud.
Bien que les conditions de la nuit restent agréables, il fait vraiment froid. Je passe le Cap de Salou en pleine nuit. Comme tout passage de cap, il faut être très attentif et vigilant, car un cap veut souvent dire qu'il y a plus de vent et plus de vagues. Effets de site, comme on dit. En effet, plus de vent et plus de vagues, mais le phare du Cap de Salou est désormais derrière. Et malgré l'heure tardive, je propose à TaraTari une petite assemblée générale extra ordinaire : "mon cher bateau, je crois que nous devons revoir notre stratégie et essayer d'arrêter de passer tous ces périlleux caps de nuit. La réunion se passe bien et après nous être tous les deux exprimés sur le sujet, nous décidons d'écrire un courrier au syndicat du bureau de représentation la Mer Méditerranée.
"Madame, Monsieur,
Nous, sous-signés TaraTari & Capucine, souhaitons vous remercier pour votre accueil.
C'est avec toute notre bonne volonté que nous essayons de naviguer discrètement le long des côtes depuis plus d'un mois maintenant mais les conditions rencontrées ne sont pas toujours évidentes. Nous ne voulons pas vous déranger en cette période festive et familiale, mais serait-il possible d'envisager une rencontre et ainsi étudier ensemble la possibilité de réveiller le soleil à notre approche des caps, ou encore celle de déplacer ces derniers sur la côte en fonction de notre progression afin que nous puissions les passer aux heures ouvrables du soleil, soit entre 9h-17h30.
Ce serait drôlement chic de votre part.
Nous restons à votre disposition et vous prions de croire en notre sincère motivation,
Nous vous adressons, Madame, Monsieur, ainsi qu'à Madame Mer Méditerranée, nos meilleurs voeux pour l'année 2012,
Cordialement,
TaraTari et Capucine "
J'appose le tampon "Tara Tari", à côté de nos signatures.
Quand le jour se lève, c'est toujours une petite délivrance, car je sais que peu de temps après, le soleil va commencer à me réchauffer un peu. Il fait tellement froid la nuit. C'est assez éprouvant.
Il est 8h du matin et alors que je suis dans la cuisine en pleine préparation d'un thé, quelque chose me pousse à sortir la tête dehors. Au moment où je me tourne vers l'extérieur, je vois l'étrave rouge d'un bateau de pêche à deux mètres du derrière de TaraTari! Je bondis à l'extérieur!
A bord du bateau de pêche rouge qui est désormais juste à côté, trois hommes sont sur le pont. "Hola?!" je suis surprise et interrogative. Les hommes ont le sourire. L'un d'eux, le plus âgé, a les cheveux blancs et la barbe qui va avec, me dit qu'ils étaient surpris de voir un voilier par ici, et qu'en s'approchant ils n'ont vu personne à bord, ils voulaient savoir si tout allait bien... "Ah, c'est gentil, tout va bien! J'étais à l'intérieur pour me préparer un peu de thé car il fait bien froid!" Les hommes sourient, et me disent qu'il est vraiment rare de voir un voilier à cette saison et... encore plus mené par une femme. Un autre, plus jeune, s'amuse de me voir habillée avec mon ciré jaune et mon bonnet, "Tu es comme nous!"; C'est vrai, et je suis aussi à bord d'un bateau de pêche! Quelques mots bien gentils et nous nous souhaitons "Feliz Navidad!" et ils repartent vers le large. Je garderais toujours en tête le souvenir de cette apparition, de ces pères noël pêcheurs, à bord de leur joli bateau rouge.
Le vent est bon, la mer aussi. Nous continuons vers le Sud. TaraTari avance toujours à 3-4 noeuds. Tout va bien à bord.
L'approche du Delta de l'Ebre est délicate car il y a énormément de fermes piscicoles, de hauts fonds sableux et de rochers isolés. Et évidemment, il fait nuit quand nous arrivons là où tout se complique. Ce n'est jamais évident d'évaluer les distances la nuit. Parfois une bouée qui semble loin s'avère être tout près et une autre qui semble tout près est en fait très loin. D'où l'importance de faire très régulièrement le point sur la carte pour bien valider la position et le cap à suivre. C'est chaud car cette nuit le vent est plus fort, mais tout se passe bien.
Au pied du Delta de l'Ebre, le tout petit port de pêche de L'Ampolla, devient mon objectif. Et évidemment c'est en pleine nuit et à la voile, que j'arrive dans ce tout petit port. TaraTari amarré, les voiles rangées, je suis contente d'être arrivée après cette superbe nav.
Mais je suis frigorifiée. Je prends une douche chaude à la capitainerie, je me couvre avec toutes les épaisseurs (humides...) que je peux, bois un peu de thé, mais je n'arrive pas à me réchauffer. Au port, un panneau lumineux indique qu'il fait 1°C. Je tremble de froid, mais de fatigue aussi. A bord de TaraTari, je me glisse toute habillée dans mon duvet, le bonnet vissé sur la tête et je m'endors en quelques secondes seulement. C'est impressionnant, cette capacité qu'à le corps à faire face au froid et à la fatigue en mer, alors qu'une fois à terre, tout se relâche si vite.
C'était une belle, très belle navigation. A part un problème de pilote (souci de connexion du calculateur d'angle de barre etc), je suis contente: toujours aucune avarie à bord de TaraTari, si ce n'est que je ne peux toujours pas me servir du moteur. Il faudrait que je le démonte pour nettoyer les filtres, vérifier le piston et tout et tout.. Pour le moment et depuis la Ciotat, c'est du 100% à la voile.
Là je suis à l'Ampolla et c'est la tempête.
Nous sommes à l'abri, au pied du Delta de l'Ebre, mais cet endroit est très dangereux... C'est ici, au cap de Tortosa, que Bernard Moitessier avait fait naufrage. Nous allons faire attention et attendre le bon moment pour repartir.
Bonne année 2012 à tous,
Capucine
De Vilanova à je ne sais pas encore où, la descente vers le Sud se poursuit enfin sans encombre. Ni tempête ni armée de pêcheurs, ni champs de bosses ni slalom spécial: la navigation ressemble étrangement à une navigation. Paisible plaisir. Ce 25 décembre est, depuis mon départ de La Ciotat, ma plus belle journée en mer. Un anticyclone, situé au dessus de l'Espagne, m'offre de belles conditions, avec environ 10-15 noeuds de vent et une mer plate, TaraTari et moi longeons les côtes à 4 noeuds et mangeons deux clémentines pour fêter ça.
C'est Noël, ça doit être un petit cadeau du vent. A propos de Noël, le journal Ouest France m'a demandé d'envoyer un petit texte et une photo sur laquelle je dois souhaiter un joyeux noël en breton. (lire l'article) Au coeur de la Catalogne, j'écris en breton à bord d'un bateau bangali. Rien de plus normal.
joyeux noël en mer et en breton |
Et ce n'est pas tout. En ce 25 décembre, une autre surprise, venue d'un autre pays s'invite à bord! Nicolás, qui était mon voisin de ponton à Barcelone, est Argentin, il sait à peu près vers où je dois me trouver car je donne toujours quelques nouvelles aux personnes quittées à la dernière escale. Nico a pris le train, un train qui longe la côte et à repéré les jolies voiles oranges de TaraTari, un peu plus au sud de Vilanova. Je reçois un texto "Te veo desde el tren". Au début je ne comprends pas vraiment, et ne réponds pas. Deux heures plus tard, alors que je suis tranquillement entrain d'avancer, je vois un gros semi rigide venir de la côte. Il se dirige vers mon étrave et en quelques minutes l'embarcation arrive à ma hauteur. "Sorpresa!" c'est Nicolás et son accent argentin! Il me demande s'il peut monter à bord un petit moment. J'hallucine complètement. Comment a-t-il fait pour me retrouver et arriver ainsi? Je ne sais pas mais je trouve ça bien sympa. Petits morceaux de fromage, de jambon serrano, olives et berberechos, nous improvisons un petit apéro de noël, et passons un agréable moment à discuter. A bord, il téléphone à son père, à sa grand-mère qui sont en Argentine, et leur dit avec un sourire grand comme ça "vous ne devinerez jamais d'où je vous appelle! je suis à bord de Tara Tari!!" il leur raconte l'histoire du bateau, le décrit enchanté. Et c'est ainsi qu'en Argentine, une famille entière suit désormais l'aventure d'un petit voilier de pêche du Bangladesh. Cette visite surprise a été tout aussi surprenante que sympathique. Nico rêve de traverser l'Atlantique sur son voilier pour rentrer dans son pays et aujourd'hui il décide de se donner un an pour se préparer et partir.
Tara Tari a touché l'Amérique du Sud.
Bien que les conditions de la nuit restent agréables, il fait vraiment froid. Je passe le Cap de Salou en pleine nuit. Comme tout passage de cap, il faut être très attentif et vigilant, car un cap veut souvent dire qu'il y a plus de vent et plus de vagues. Effets de site, comme on dit. En effet, plus de vent et plus de vagues, mais le phare du Cap de Salou est désormais derrière. Et malgré l'heure tardive, je propose à TaraTari une petite assemblée générale extra ordinaire : "mon cher bateau, je crois que nous devons revoir notre stratégie et essayer d'arrêter de passer tous ces périlleux caps de nuit. La réunion se passe bien et après nous être tous les deux exprimés sur le sujet, nous décidons d'écrire un courrier au syndicat du bureau de représentation la Mer Méditerranée.
"Madame, Monsieur,
Nous, sous-signés TaraTari & Capucine, souhaitons vous remercier pour votre accueil.
C'est avec toute notre bonne volonté que nous essayons de naviguer discrètement le long des côtes depuis plus d'un mois maintenant mais les conditions rencontrées ne sont pas toujours évidentes. Nous ne voulons pas vous déranger en cette période festive et familiale, mais serait-il possible d'envisager une rencontre et ainsi étudier ensemble la possibilité de réveiller le soleil à notre approche des caps, ou encore celle de déplacer ces derniers sur la côte en fonction de notre progression afin que nous puissions les passer aux heures ouvrables du soleil, soit entre 9h-17h30.
Ce serait drôlement chic de votre part.
Nous restons à votre disposition et vous prions de croire en notre sincère motivation,
Nous vous adressons, Madame, Monsieur, ainsi qu'à Madame Mer Méditerranée, nos meilleurs voeux pour l'année 2012,
Cordialement,
TaraTari et Capucine "
J'appose le tampon "Tara Tari", à côté de nos signatures.
Quand le jour se lève, c'est toujours une petite délivrance, car je sais que peu de temps après, le soleil va commencer à me réchauffer un peu. Il fait tellement froid la nuit. C'est assez éprouvant.
Il est 8h du matin et alors que je suis dans la cuisine en pleine préparation d'un thé, quelque chose me pousse à sortir la tête dehors. Au moment où je me tourne vers l'extérieur, je vois l'étrave rouge d'un bateau de pêche à deux mètres du derrière de TaraTari! Je bondis à l'extérieur!
A bord du bateau de pêche rouge qui est désormais juste à côté, trois hommes sont sur le pont. "Hola?!" je suis surprise et interrogative. Les hommes ont le sourire. L'un d'eux, le plus âgé, a les cheveux blancs et la barbe qui va avec, me dit qu'ils étaient surpris de voir un voilier par ici, et qu'en s'approchant ils n'ont vu personne à bord, ils voulaient savoir si tout allait bien... "Ah, c'est gentil, tout va bien! J'étais à l'intérieur pour me préparer un peu de thé car il fait bien froid!" Les hommes sourient, et me disent qu'il est vraiment rare de voir un voilier à cette saison et... encore plus mené par une femme. Un autre, plus jeune, s'amuse de me voir habillée avec mon ciré jaune et mon bonnet, "Tu es comme nous!"; C'est vrai, et je suis aussi à bord d'un bateau de pêche! Quelques mots bien gentils et nous nous souhaitons "Feliz Navidad!" et ils repartent vers le large. Je garderais toujours en tête le souvenir de cette apparition, de ces pères noël pêcheurs, à bord de leur joli bateau rouge.
Le vent est bon, la mer aussi. Nous continuons vers le Sud. TaraTari avance toujours à 3-4 noeuds. Tout va bien à bord.
L'approche du Delta de l'Ebre est délicate car il y a énormément de fermes piscicoles, de hauts fonds sableux et de rochers isolés. Et évidemment, il fait nuit quand nous arrivons là où tout se complique. Ce n'est jamais évident d'évaluer les distances la nuit. Parfois une bouée qui semble loin s'avère être tout près et une autre qui semble tout près est en fait très loin. D'où l'importance de faire très régulièrement le point sur la carte pour bien valider la position et le cap à suivre. C'est chaud car cette nuit le vent est plus fort, mais tout se passe bien.
Au pied du Delta de l'Ebre, le tout petit port de pêche de L'Ampolla, devient mon objectif. Et évidemment c'est en pleine nuit et à la voile, que j'arrive dans ce tout petit port. TaraTari amarré, les voiles rangées, je suis contente d'être arrivée après cette superbe nav.
Mais je suis frigorifiée. Je prends une douche chaude à la capitainerie, je me couvre avec toutes les épaisseurs (humides...) que je peux, bois un peu de thé, mais je n'arrive pas à me réchauffer. Au port, un panneau lumineux indique qu'il fait 1°C. Je tremble de froid, mais de fatigue aussi. A bord de TaraTari, je me glisse toute habillée dans mon duvet, le bonnet vissé sur la tête et je m'endors en quelques secondes seulement. C'est impressionnant, cette capacité qu'à le corps à faire face au froid et à la fatigue en mer, alors qu'une fois à terre, tout se relâche si vite.
C'était une belle, très belle navigation. A part un problème de pilote (souci de connexion du calculateur d'angle de barre etc), je suis contente: toujours aucune avarie à bord de TaraTari, si ce n'est que je ne peux toujours pas me servir du moteur. Il faudrait que je le démonte pour nettoyer les filtres, vérifier le piston et tout et tout.. Pour le moment et depuis la Ciotat, c'est du 100% à la voile.
Là je suis à l'Ampolla et c'est la tempête.
Nous sommes à l'abri, au pied du Delta de l'Ebre, mais cet endroit est très dangereux... C'est ici, au cap de Tortosa, que Bernard Moitessier avait fait naufrage. Nous allons faire attention et attendre le bon moment pour repartir.
Bonne année 2012 à tous,
Capucine
vendredi 30 décembre 2011
le ciel et le métro
24 -25- 26- 27 décembre 2011. En mer.
C'est Noël, et je suis toute seule à bord de TaraTari. Les lumières sont complètement dingues ce soir. Enfin je dis ce soir, mais il n'est que 17h30. Le soleil se couche avec les poules - façon de parler car je ne sais pas à quelle heure vont se coucher les poules.
Enfin, bref, la lumière est belle. Et il n'y pas de photoshop dans la nature.
C'est superbe. Cela ne dure que quelques instants, et je me régale.
La nuit sombre tombe froidement.
L'humidité, le vent, le froid, l'obscurité.... le package nocturne a moins de charme.
J'enchaîne les manoeuvres à cause des caprices du vent. Le froid me glace les joues.
Je n'ai pas très faim ce soir. Enfin comme tous les soirs, en fait. je ne mange pas beaucoup à bord. Quelques clémentines, bananes, amandes, figues séchées et du thé ... voilà en gros à quoi ressemblent mes menus. En plus de ces grignotages, j'essaie de prendre un repas chaud pendant la nuit, mais je n'arrive pas à manger la moitié d'un sachet lyophilisé, par manque d'appétit et parce qu'au bout de trois cuillères, le plat est froid. Il ne fait jamais plus de 5°, c'est peut-être pour cela.
Je regarde la côte au loin. Les lumières des villes scintillent. Guirlande géante. Les phares, les bouées qui clignotent. Vers le large, quelques cargos et ferries lumineux. Non, vraiment, pas besoin de sapin.
Quand le vent change de direction, la soufflerie fait une petite pause. C'est un rythme que nous commençons à connaître avec TaraTari. C'est agréable de commencer à prendre quelques repères dans ces nuits si sombres. Ces petits moments plus calmes me laissent un peu de temps pour regarder le ciel et les étoiles. Pas forcément pour la contemplation, mais plutôt pour observer les mouvements de la terre, et apprendre peu à peu à me repérer. Navigation astronomique au programme.
Je descends dans le bateau, et vais dans la bibliothèque (porte de droite au fond du couloir, après la cuisine). J'ai apporté avec moi un petit livre qui va m'aider à m'y retrouver dans toutes ces constellations.
A la lumière de ma frontale, je tourne les pages du petit guide.
Carte générale du ciel que l'on peut observer dans l'hémisphère nord...
Je tourne les pages, concentrée.
De constellation en constellation, je sillonne ce ciel de papier glacé.
Quelques pages encore...
Et je referme vite le petit guide.
Ces cartes... ces petits points reliés, ces noms improbables.
J'ai soudain l'impression d'avoir déjà vécu cette scène.
C'était dans un couloir plein de courants d'air.
Vision désolante. L'angoisse.
Monsieur l'auteur de ce plan du ciel, rendez leur liberté à Hercule, Lyre, Andromède, Cassiopée, Pégase et les autres; qu'ils retournent en paix, à leur mythologie.
Le petit livre est rangé et je ressors sur le pont.
Soulagée, je regarde le ciel.
Les étoiles.
Petits points de lumière,
simples et jolis.
Et finalement cette nuit,
être des étoiles,
c'est tout ce que je leur demande,
aux petites étoiles.
Capucine
C'est Noël, et je suis toute seule à bord de TaraTari. Les lumières sont complètement dingues ce soir. Enfin je dis ce soir, mais il n'est que 17h30. Le soleil se couche avec les poules - façon de parler car je ne sais pas à quelle heure vont se coucher les poules.
Enfin, bref, la lumière est belle. Et il n'y pas de photoshop dans la nature.
et en vrai c'était encore plus beau |
La nuit sombre tombe froidement.
L'humidité, le vent, le froid, l'obscurité.... le package nocturne a moins de charme.
J'enchaîne les manoeuvres à cause des caprices du vent. Le froid me glace les joues.
et en vrai il faisait encore plus froid |
Je n'ai pas très faim ce soir. Enfin comme tous les soirs, en fait. je ne mange pas beaucoup à bord. Quelques clémentines, bananes, amandes, figues séchées et du thé ... voilà en gros à quoi ressemblent mes menus. En plus de ces grignotages, j'essaie de prendre un repas chaud pendant la nuit, mais je n'arrive pas à manger la moitié d'un sachet lyophilisé, par manque d'appétit et parce qu'au bout de trois cuillères, le plat est froid. Il ne fait jamais plus de 5°, c'est peut-être pour cela.
Je regarde la côte au loin. Les lumières des villes scintillent. Guirlande géante. Les phares, les bouées qui clignotent. Vers le large, quelques cargos et ferries lumineux. Non, vraiment, pas besoin de sapin.
Quand le vent change de direction, la soufflerie fait une petite pause. C'est un rythme que nous commençons à connaître avec TaraTari. C'est agréable de commencer à prendre quelques repères dans ces nuits si sombres. Ces petits moments plus calmes me laissent un peu de temps pour regarder le ciel et les étoiles. Pas forcément pour la contemplation, mais plutôt pour observer les mouvements de la terre, et apprendre peu à peu à me repérer. Navigation astronomique au programme.
Je descends dans le bateau, et vais dans la bibliothèque (porte de droite au fond du couloir, après la cuisine). J'ai apporté avec moi un petit livre qui va m'aider à m'y retrouver dans toutes ces constellations.
A la lumière de ma frontale, je tourne les pages du petit guide.
Carte générale du ciel que l'on peut observer dans l'hémisphère nord...
Je tourne les pages, concentrée.
De constellation en constellation, je sillonne ce ciel de papier glacé.
Quelques pages encore...
Et je referme vite le petit guide.
Ces cartes... ces petits points reliés, ces noms improbables.
J'ai soudain l'impression d'avoir déjà vécu cette scène.
C'était dans un couloir plein de courants d'air.
Vision désolante. L'angoisse.
Monsieur l'auteur de ce plan du ciel, rendez leur liberté à Hercule, Lyre, Andromède, Cassiopée, Pégase et les autres; qu'ils retournent en paix, à leur mythologie.
Le petit livre est rangé et je ressors sur le pont.
Soulagée, je regarde le ciel.
Les étoiles.
Petits points de lumière,
simples et jolis.
Et finalement cette nuit,
être des étoiles,
c'est tout ce que je leur demande,
aux petites étoiles.
Capucine
Le message passe - Vilanova
23/12/2011. En fait, le truc du "Dehors quelqu'un m'appelle" de mon dernier petit récit, c'était surtout pour mettre un peu de suspense dans le déroulement de l'aventure. j'avoue.
Reprenons. On m'appelle dehors. Ce sont les gars de la capitainerie. "Il faut payer!" Pas de problème, mais on commence par se dire bonjour ou pas du tout ? Vraiment pas très aimables ces gens-là. Ils ont dû avoir froid ce matin en me faisant des signes avec leur lampe de poche et du coup ils sont de mauvaise humeur. Heureusement, il y a, à Vilanova, des personnes super sympas et cette petite escale prend une belle tournure, de belles rencontres et d'émouvants témoignages. Ah... TaraTari.... tu as le chic pour toucher les gens, toi.
Ces trois heures de sommeil réparateur m'ont fait du bien. Dehors ça parle assez fort et j'entends des "Hola?! Hola!?" qui semblent m'être adressés. Je sors, les yeux encore un peu lourds de fatigue. Des hommes sont sur le ponton. Ils ont tous des bateaux et m'indiquent un à un lequel est à qui. Avec leurs grosses voix rauques ils commencent à me féliciter pour ma manoeuvre de port matinale. Ils étaient là, ils ont vu et n'en reviennent pas. J'ai l'impression que ce qui les marque le plus c'est que je sois une jeune femme... ils répètent au moins dix fois "Una mujer... sola !" Alors que certains me posent des questions, d'autres arrivent, vont et reviennent. Tous sont choqués par l'attitude des gars de la capitainerie. L'antipathie des uns et l'incroyable accueil des autres. Contraste en effet assez énorme.
Vincente m'offre un café, me raconte ses navigations et contacte un ami mécano "si je peux faire quelque chose pour que ton moteur fonctionne...". Le mécano vient. "Je n'ai jamais vu un moteur comme ça! mais il est bon pour la poubelle!!" - Pauvre DjianDong, ne l'écoute pas. Les visites se succèdent devant TaraTari, je ne comprends pas tout ce qu'il se passe mais je me retrouve avec un parbat flambant neuf, un gros fromage, des bouteilles de Cava, du vin, des boîtes de conserve, une couverture polaire, deux bonnets, des bouts et même un calendrier 2012 de la Caixa... je croule sous les cadeaux des navigateurs de Vilanova i la Geltru. En main propre ou déposés à bord. C'est Noël avant l'heure!
Parmi ces généreux marins, il y a Amadeu, 46 ans, qui me raconte lui aussi ses plus beaux moments en mer, et les coups durs. Amadeu navigue autant qu'il le peut, et depuis toujours. Autour d'un bon café, il m'explique qu'il y a deux semaines, il y a eu une méchante tempête, ici.
-"Dans la nuit du 3 au 4 décembre?"
-"Oui, c'est ça!"
-"je vois de quoi tu parles, j'étais en mer, et j'ai du faire demi-tour devant la ferme piscicole, là-bas"
-"Non?! sérieusement?! tu étais en mer pendant cette tempête?!" Il n'en revient pas.
Je lui demande si c'est fréquent, ce type de tempête surprise qui n'était pas du tout prévue sur les fichiers météo. Il m'explique qu'il est rare que ce soit si fort et si soudain mais qu'en général, il y a un gros nuage noir qui annonce le phénomène. "Un gros nuage noir", c'est justement ce que je décrivais ici, à mon retour à la case "Barcelone". Ok, alors je vois. Il continue:
-"Le nuage noir veut dire : vite faire demi tour ! C'est la seule option!"
-"C'est ce que j'ai fait... un peu tard, mais je suis rentrée à bon port, sans abîmer le bateau".
Cet échange est bien intéressant. Je note sur mon cahier ses bons conseils. Il me fait visiter son bateau, m'offre Cava et un super fromage et me dit qu'il m'enverra par mail les cartes précises des entrées des ports tout au long de ma descente vers Gibraltar. Amadeu est un marin. Un vrai, un dur à cuire. La mer est sa passion et sa vie. Son grand père était pêcheur, son père aussi. Il me dit tout le respect qu'il a pour mon mode de navigation "sans ordi, sans artifice, et tout ça en plein hiver" "ça fait réfléchir" dit-il enfin. Il me dit que désormais il suivra TaraTari. Amadeu est très mécontent de l'attitude des gars du port "Ils n'ont rien compris. Un bateau comme le tien mérite d'être tellement bien accueilli, ils ne connaissent rien à la mer, rien à la navigation et ne pourront jamais rien comprendre à ce que tu fais.... je suis désolé" regrette-t-il.
Et puis il y a Uri et Laia. Ils ont à peu près mon âge et viennent voir TaraTari. Uri a mis toutes ses économies dans un voilier "Senyera", qui est devenu sa maison. Ils sont absolument adorables. Uri est fasciné, m'explique que voir TaraTari lui fait du bien "A Vilanova, il y a beaucoup de voiliers très grands, très chers, qui appartiennent à des gens qui ne naviguent pratiquement jamais. Quand je vois Tara Tari, je me dis que c'est toi qui a raison, qu'avec peu, on peut y arriver quand même. C'est génial, merci pour ce que tu fais, c'est très fort et ça me motive à réaliser mes propres rêves de navigation". Il y a quelque chose de fort dans le ton de sa voix, je le sens ému, et profondément touché par Tara Tari. Je leur propose de monter à bord, ravis, ils me posent de nombreuses questions. "tu as vu les barres de flèches, Laia, ce sont des béquilles!!" Ils regardent le bateau avec un joli sourire. Uri est désormais convaincu qu'un jour il ira, lui aussi, vers la réalisation des ses rêves. "Tu me prouves que c'est possible. Ne serait-ce que parce que tu essaies. Et avec si peu de moyens."
TaraTari dévoile son message, au fil des milles et des rencontres. A bord de leur voilier, Uri m'installe sur mon petit ordi un logiciel de cartes marines. "Tu as désormais tous les ports du monde!" Quel cadeau! Merci! Ce n'est pas un logiciel de navigation, car je ne navigue qu'avec des cartes papiers et un petit gps portable, mais c'est super car mes cartes papiers ne sont pas toutes très détaillées et cela va m'aider à préparer mes navs. Laia me tend des boîtes de conserve de thon et d'ananas, et puis ils m'offrent aussi le pavillon catalan, qu'ils ont signé. Je leur offre la bouteille de vin blanc que l'on m'a offert une heure plus tôt (ça ne se fait pas d'offrir un cadeau, mais je tiens à les remercier et je n'ai pas grand chose à offrir pour le moment).
Assez vite, je trouve un endroit pour me connecter à Internet et regarder la météo. Tout près du port, Cristian a 35 ans, a quitté Barcelone pour se rapprocher des vagues et ouvert un petit hôtel. Son truc c'est le surf. Il a le look. Et du coup nous parlons surf et aventure. Sur son grand ordinateur, je lui montre les petits films de "Des Iles Usions", le trip de "sruf et de survie" d'Aurel Jacob, Ewen Le Goff et Ronan Gladu, qu'il ajoute à ses 'favoris'. A découvrir ici. Ici, au coeur de la Catalogne, la bande son du film des trois Bretons s'entend dans tout l'hotel, restau et terrasse. Les quelques clients semblent surpris, et cela nous amuse. Nous parlons un bon moment de cette conception de vie, d'aventure, de vagues, de surf et de lointains horizons, plus purs et plus sauvages. Cette discussion est surréaliste, au milieu des guirlandes de Noël.
Petit coup d'oeil aux fichiers météo; ça passe, je me prépare à repartir. Il n'y a pas beaucoup de vent, et je ne peux pas compter sur l'aide de la capitainerie pour sortir de ce port, Uri se propose de me remorquer avec son voilier. Deux bouts fixés au support de dérives, et un long bout, la sortie du port s'annonce bien mais un gars de la capitainerie râle encore "Tu dois payer pour ta présence ici!!" - ça faisait au moins 45 minutes que l'on ne me l'avait pas dit - "Bonjour Monsieur, c'est fait et ça fait 4000 fois que vous me l'exigez, je suis en règle, j'ai payé ce que je devais." L'homme ne me croit pas et me demande la preuve du paiement, ce qui m'énerve car nous sommes en pleine manoeuvre de port. Il file faire sa photocopie et revient. "Désolé mais j'ai des consignes!" dit-il en bougonnant."Au revoir, monsieur, et joyeux noël.."
Je libère le bout de remorquage, Uri et Laila font quelques photos et je me retrouve enfin en mer. Je repense à cette escale si courte et si forte. Dans ce port au nom improbable, Tara Tari a réussi a surmonter une tempête, à faire face à une ferme piscicole, et à se faufiler parmi 37 bateaux de pêches croisés à l'entrée du port. Mais ici, à Vilanova i la Geltru, TaraTari aura surtout réussi en quelques heures à toucher le coeur de marins et réveiller leurs rêves. C'est fou, le pouvoir de petit voilier.
Et TaraTari et moi sommes repartis en mer, pour poursuivre sans attendre, notre aventure en mer.
Gracias por todo, Vincente, Cristian y sobre todo a vosotros Amadeu, Uri y Laia.
Bona Proa, amigos! Seguimos en contacto!
Cap au Sud, Sud Ouest...
Capucine
Reprenons. On m'appelle dehors. Ce sont les gars de la capitainerie. "Il faut payer!" Pas de problème, mais on commence par se dire bonjour ou pas du tout ? Vraiment pas très aimables ces gens-là. Ils ont dû avoir froid ce matin en me faisant des signes avec leur lampe de poche et du coup ils sont de mauvaise humeur. Heureusement, il y a, à Vilanova, des personnes super sympas et cette petite escale prend une belle tournure, de belles rencontres et d'émouvants témoignages. Ah... TaraTari.... tu as le chic pour toucher les gens, toi.
Ces trois heures de sommeil réparateur m'ont fait du bien. Dehors ça parle assez fort et j'entends des "Hola?! Hola!?" qui semblent m'être adressés. Je sors, les yeux encore un peu lourds de fatigue. Des hommes sont sur le ponton. Ils ont tous des bateaux et m'indiquent un à un lequel est à qui. Avec leurs grosses voix rauques ils commencent à me féliciter pour ma manoeuvre de port matinale. Ils étaient là, ils ont vu et n'en reviennent pas. J'ai l'impression que ce qui les marque le plus c'est que je sois une jeune femme... ils répètent au moins dix fois "Una mujer... sola !" Alors que certains me posent des questions, d'autres arrivent, vont et reviennent. Tous sont choqués par l'attitude des gars de la capitainerie. L'antipathie des uns et l'incroyable accueil des autres. Contraste en effet assez énorme.
Vincente m'offre un café, me raconte ses navigations et contacte un ami mécano "si je peux faire quelque chose pour que ton moteur fonctionne...". Le mécano vient. "Je n'ai jamais vu un moteur comme ça! mais il est bon pour la poubelle!!" - Pauvre DjianDong, ne l'écoute pas. Les visites se succèdent devant TaraTari, je ne comprends pas tout ce qu'il se passe mais je me retrouve avec un parbat flambant neuf, un gros fromage, des bouteilles de Cava, du vin, des boîtes de conserve, une couverture polaire, deux bonnets, des bouts et même un calendrier 2012 de la Caixa... je croule sous les cadeaux des navigateurs de Vilanova i la Geltru. En main propre ou déposés à bord. C'est Noël avant l'heure!
Parmi ces généreux marins, il y a Amadeu, 46 ans, qui me raconte lui aussi ses plus beaux moments en mer, et les coups durs. Amadeu navigue autant qu'il le peut, et depuis toujours. Autour d'un bon café, il m'explique qu'il y a deux semaines, il y a eu une méchante tempête, ici.
-"Dans la nuit du 3 au 4 décembre?"
-"Oui, c'est ça!"
-"je vois de quoi tu parles, j'étais en mer, et j'ai du faire demi-tour devant la ferme piscicole, là-bas"
-"Non?! sérieusement?! tu étais en mer pendant cette tempête?!" Il n'en revient pas.
Je lui demande si c'est fréquent, ce type de tempête surprise qui n'était pas du tout prévue sur les fichiers météo. Il m'explique qu'il est rare que ce soit si fort et si soudain mais qu'en général, il y a un gros nuage noir qui annonce le phénomène. "Un gros nuage noir", c'est justement ce que je décrivais ici, à mon retour à la case "Barcelone". Ok, alors je vois. Il continue:
-"Le nuage noir veut dire : vite faire demi tour ! C'est la seule option!"
-"C'est ce que j'ai fait... un peu tard, mais je suis rentrée à bon port, sans abîmer le bateau".
Cet échange est bien intéressant. Je note sur mon cahier ses bons conseils. Il me fait visiter son bateau, m'offre Cava et un super fromage et me dit qu'il m'enverra par mail les cartes précises des entrées des ports tout au long de ma descente vers Gibraltar. Amadeu est un marin. Un vrai, un dur à cuire. La mer est sa passion et sa vie. Son grand père était pêcheur, son père aussi. Il me dit tout le respect qu'il a pour mon mode de navigation "sans ordi, sans artifice, et tout ça en plein hiver" "ça fait réfléchir" dit-il enfin. Il me dit que désormais il suivra TaraTari. Amadeu est très mécontent de l'attitude des gars du port "Ils n'ont rien compris. Un bateau comme le tien mérite d'être tellement bien accueilli, ils ne connaissent rien à la mer, rien à la navigation et ne pourront jamais rien comprendre à ce que tu fais.... je suis désolé" regrette-t-il.
Et puis il y a Uri et Laia. Ils ont à peu près mon âge et viennent voir TaraTari. Uri a mis toutes ses économies dans un voilier "Senyera", qui est devenu sa maison. Ils sont absolument adorables. Uri est fasciné, m'explique que voir TaraTari lui fait du bien "A Vilanova, il y a beaucoup de voiliers très grands, très chers, qui appartiennent à des gens qui ne naviguent pratiquement jamais. Quand je vois Tara Tari, je me dis que c'est toi qui a raison, qu'avec peu, on peut y arriver quand même. C'est génial, merci pour ce que tu fais, c'est très fort et ça me motive à réaliser mes propres rêves de navigation". Il y a quelque chose de fort dans le ton de sa voix, je le sens ému, et profondément touché par Tara Tari. Je leur propose de monter à bord, ravis, ils me posent de nombreuses questions. "tu as vu les barres de flèches, Laia, ce sont des béquilles!!" Ils regardent le bateau avec un joli sourire. Uri est désormais convaincu qu'un jour il ira, lui aussi, vers la réalisation des ses rêves. "Tu me prouves que c'est possible. Ne serait-ce que parce que tu essaies. Et avec si peu de moyens."
TaraTari dévoile son message, au fil des milles et des rencontres. A bord de leur voilier, Uri m'installe sur mon petit ordi un logiciel de cartes marines. "Tu as désormais tous les ports du monde!" Quel cadeau! Merci! Ce n'est pas un logiciel de navigation, car je ne navigue qu'avec des cartes papiers et un petit gps portable, mais c'est super car mes cartes papiers ne sont pas toutes très détaillées et cela va m'aider à préparer mes navs. Laia me tend des boîtes de conserve de thon et d'ananas, et puis ils m'offrent aussi le pavillon catalan, qu'ils ont signé. Je leur offre la bouteille de vin blanc que l'on m'a offert une heure plus tôt (ça ne se fait pas d'offrir un cadeau, mais je tiens à les remercier et je n'ai pas grand chose à offrir pour le moment).
Assez vite, je trouve un endroit pour me connecter à Internet et regarder la météo. Tout près du port, Cristian a 35 ans, a quitté Barcelone pour se rapprocher des vagues et ouvert un petit hôtel. Son truc c'est le surf. Il a le look. Et du coup nous parlons surf et aventure. Sur son grand ordinateur, je lui montre les petits films de "Des Iles Usions", le trip de "sruf et de survie" d'Aurel Jacob, Ewen Le Goff et Ronan Gladu, qu'il ajoute à ses 'favoris'. A découvrir ici. Ici, au coeur de la Catalogne, la bande son du film des trois Bretons s'entend dans tout l'hotel, restau et terrasse. Les quelques clients semblent surpris, et cela nous amuse. Nous parlons un bon moment de cette conception de vie, d'aventure, de vagues, de surf et de lointains horizons, plus purs et plus sauvages. Cette discussion est surréaliste, au milieu des guirlandes de Noël.
Petit coup d'oeil aux fichiers météo; ça passe, je me prépare à repartir. Il n'y a pas beaucoup de vent, et je ne peux pas compter sur l'aide de la capitainerie pour sortir de ce port, Uri se propose de me remorquer avec son voilier. Deux bouts fixés au support de dérives, et un long bout, la sortie du port s'annonce bien mais un gars de la capitainerie râle encore "Tu dois payer pour ta présence ici!!" - ça faisait au moins 45 minutes que l'on ne me l'avait pas dit - "Bonjour Monsieur, c'est fait et ça fait 4000 fois que vous me l'exigez, je suis en règle, j'ai payé ce que je devais." L'homme ne me croit pas et me demande la preuve du paiement, ce qui m'énerve car nous sommes en pleine manoeuvre de port. Il file faire sa photocopie et revient. "Désolé mais j'ai des consignes!" dit-il en bougonnant."Au revoir, monsieur, et joyeux noël.."
Je libère le bout de remorquage, Uri et Laila font quelques photos et je me retrouve enfin en mer. Je repense à cette escale si courte et si forte. Dans ce port au nom improbable, Tara Tari a réussi a surmonter une tempête, à faire face à une ferme piscicole, et à se faufiler parmi 37 bateaux de pêches croisés à l'entrée du port. Mais ici, à Vilanova i la Geltru, TaraTari aura surtout réussi en quelques heures à toucher le coeur de marins et réveiller leurs rêves. C'est fou, le pouvoir de petit voilier.
Et TaraTari et moi sommes repartis en mer, pour poursuivre sans attendre, notre aventure en mer.
départ de Vilanova i la Getlru. photo:Uri |
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Capucine
mercredi 28 décembre 2011
Et enfin repartir
Mercredi 22 décembre. Désagréable sensation de stagner. Il faut changer l'eau des fleurs, pour de l'eau plus pure. J'ai envie et besoin de partir. La décision de ne pas partir dans un vent trop fort était l'option la plus raisonnable, mais j'ai l'impression que chaque journée passée au port m'éloigne un peu de mon aventure. Le safran et les dérives se sont laissés pousser une petite moustache d'algues et d'attente que je nettoie dans l'eau froide du port. Il est temps de partir. Et le temps me laisse enfin repartir.
Ciao Barcelona, cette fois-ci je pars pour de bon. Enfin je l'espère. Les conditions sont enfin favorables et les amarres larguées me replongent aussitôt dans mon périple. Je vis ce nouveau départ comme une délivrance. Je m'éloigne de Barcelone, range quelques bouts. Tout va bien, mais pour être franche, je ressens quelque chose d'un peu particulier. La dernière fois que je suis partie de Barcelone, je me suis retrouvée assez vite dans une bonne tempête et si sur le moment j'avais géré sans prendre peur, l'expérience m'a marqué et je crois que cela m'impressionne encore un peu. Inconsciemment, je redoute de me retrouver de nouveau dans la marmite. Je respire profondément et me rassure en regardant la mer dont la surface, plate, évoque plus de douceur que de violence. "ça va bien se passer" me dis-je à voix haute. Et puis un voilier s'approche. Excellent! C'est mon ami Nico, Argentin expatrié, qui vit sur son bateau et qui rêve de traverser l'Atlantique sur son voilier pour rentrer dans son pays. Voisins de ponton au Maritim, nous avons bien sympathisé. Nicolás a souhaité m'accompagner pour quelques bords vers le large. Nico m'a dit que cette rencontre avec Tara Tari lui donnait l'envie et le courage de croire qu'il arriverait lui aussi un jour, à trouver les ressources pour traverser l'Atlantique à bord de son voilier. Une chouette rencontre. C'est adorable de venir saluer mon départ à bord de son bateau. Le vent se renforce assez vite, au niveau du port de commerce. Tara Tari file à 4,5 noeuds et s'échappe loin de la ville. Salut les amis! Un dernier signe de la main, Nico et Pepe repartent. Les craintes cachées d'éventuelles tempête s'envolent elles aussi. Avec TaraTari, nous sommes désormais seuls sur l'eau, et retrouvons une douce sérénité.
A cette époque de l'année, les gens vont plus souvent skier que naviguer. Et bien nous, n'avons ni les skis ni la neige, mais nous avons les piquets et les bosses. Aujourd'hui TaraTari a eu son étoile, et mieux encore, une médaille au "Slalom spécial". Hop, hop, hop. nous avons enchaîné les virements de bord en nous faufilant au milieu des petits piquets flottants. Il y en a plein. Le parcours est parfois vicieux, avec des portes suprises (piquets à moitié sous l'eau). Mais nous marquons le meilleur temps de notre catégorie - voilier de pêche fabriqué avec du jute - et hissons ainsi le Bangladesh sur la première marche du podium. Trop fort Tara Tari. Et c'est ainsi que devant les montagnes du Garaff nous prenons notre revanche sur le parcours de bosses et les perfs d'un Edgar Grospiron.
L'intensité du vent semble mollir, et je bouquine tranquillement, une main sur la barre. Mais au loin, une sorte de baleine géante arrive à fond les ballons. Je pose mon bouquin et fronce les sourcils. C'est quoi ce truc. Une étrave noire arrive un petit peu trop rapidement à mon goût. Pas de doute, elle me fonce dessus. Je pousse la barre en grand, change nettement de cap, comme pour sortir du viseur de ce gros machin. Mais le gros machin en question change de trajectoire et je me retrouve encore dans son viseur. Non, mais, c'est quoi ce bateau?! L'angoisse. Je ne peux rien faire. Un rapide tour d'horizon, pas un autre bateau aux alentours. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je vais devoir me débrouiller. En 4 secondes, le bateau arrive et fait une sorte de gros dérapage dans mon tableau arrière, du coup je vois le navire de côté. Tara Tari, je crois que nous allons faire une rencontre d'un nouveau genre.
La Guardia Civil. Police militaire espagnole.
Ils s'approchent. Et avec leur gros bateau, ils sont désormais à deux mètres de TaraTari. Cinq hommes sont sur le pont. "Hola messieurs". Là, je suis contente de parler couramment espagnol.
- "Bonjour, vous venez d'où?"
- "Là? euh de Barcelone"
- "Tu es d'où?'
- "Je suis Française"
- "Et le bateau, il vient d'où ?"
- "Du Bangladesh"
- "C'est quoi ça, le drapeau du Japon?"
- "euh... non... celui du Bangladesh" (tu n'as qu'à demander aux élèves de 5è5 si tu ne sais pas...)
- "Tu es seule ?"
- "Oui"
Je n'aime pas trop ce questionnaire et décide de prendre les devants, craignant de les voir monter à bord et fouiller dans mes affaires à la recherche de je ne sais quoi.
" Vous voulez voir les papiers du bateau ?"
- "Attends" me disent-ils d'un ton assez autoritaire.
Non, vraiment, je n'aime pas trop tout ça.
- "J'ai fait quelque chose de mal?" demande-je alors avec une naïveté un peu improvisée.
- Non.
Ils se tiennent debout sur la passerelle, les jambes un peu écartées, les mains sur le ceinturon, genre cowboys des temps modernes. Ils m'interrogent encore:
"Mais tu viens d'où et tu vas où ?"
- "Je viens de France, de La Ciotat et je vais..."- je réfléchis une seconde, si je réponds "Miami" la conversation va durer, je trouve autre chose, de plus plausible, de plus vague - "je descends vers le Sud".
- "Mais tu t'arrêtes dans quel port ensuite ?"
- "Et bien, ça va dépendre du vent... j'aimerais arriver à Valence ou Alicante, mais j'imagine que je vais m'arrêter avant car les nuits sont longues et c'est fatiguant. - je tente la carte de la sensibilité.
- "Ah, vale vale".
Et les hommes se parlent, sourient.
- "Tu étais au ponton du Maritim, à Barcelone, non? " me demande l'un d'entre eux.
- "Oui."
- "Ah, j'avais vu ton bateau. Il est beau, mais encore plus beau sous voiles."
Cette remarque me soulage. je souffle et comprends que leur visite n'est que curiosité.
- "C'est le plus joli voilier du monde!" lance-je fièrement.
Ils rigolent.
- "On peut faire une photo ? "
- "Avec plaisir!"
Et les cowboys dégainent les téléphones portables, et nous mitraillent de photos.
- "Nous n'avons vraiment pas l'habitude de voir ce genre de bateau, (tu m'étonnes John) et encore moins l'habitude de rencontrer une jeune femme comme toi, qui navigue seule en plein mois de décembre ici! C'est fou!"
Je souris. Et nous discutons un peu. Enfin, le un peu dure bien 15 minutes.
- "Bon voyage!" me dit le pilote, en français
Les autres enchaînent "Bon vent!" "Sois prudente!" "Bon courage!"
Et celui qui avait repéré le bateau à Barcelone, me demande encore :
- "Mais si je comprends bien, cette navigation, ce bateau... c'est un mode de vie?"
- "C'est un peu ça. Il y a un but, mais qui se vit au quotidien et dans la simplicité.
- "Et bien, tu es bien courageuse!" me lance-t-il plein de respect.
- "Merci, à bientôt!"
Quelques signes de la main, et les voilà partis vers Barcelone.
Oufff. Fin de l'épisode Guardia Civil. Je tire la barre et reprends mon cap. "Et bien Tara Tari, voilà encore une étonnante rencontre!" Le soleil se couche et nous retrouvons notre calme.
Cette soirée a quelque chose de particulier. Je ne sais pas vraiment comme l'expliquer. Je suis sous le charme des couleurs et de la mer. En fait, je sais. je crois que je suis super heureuse d'être repartie. Mais vraiment. Je m'accorde quelques instants de contemplation. Le ciel devient rose. Je regarde TaraTari qui devient tout rose lui aussi. "Pas très viril, mon gars!" plaisante-je avec lui.
Je descends dans le bateau, sors l'harmonica, et joue un air léger, celui des Mystérieuses Cités d'Or.
"Enfant du soleil, tu parcours la terre, le ciel, cherche ton chemin, c'est ta vie, c'est ton destin..."
"Enfant du soleil, ton destin est sans pareil, l'aventure t'appelle, n'attends pas et cours vers elle "
L'air de ce dessin animé que je regardais petite, ne me quitte pas de la soirée.
Tout va bien ce soir à bord. Sincèrement.
La nuit tombe. Et le vent se renforce. "Comme d'hab!". Mais heureusement, le vagues sont praticables et la soirée ayant été plutôt paisible, je me sens d'attaque. J'ai l'impression de revenir un peu sur les lieux du crime de la tempête. Peur de me retrouver face à face avec le méchant de l'histoire.
La nuit est usante. Prendre un ris, le lâcher, prendre encore un ris, le lâcher et rebelotte. Je change de configuration de voile toute les heures. Et la nuit dure plus de 14h. Toutes ces manoeuvres réchauffent, mais c'est fatiguant. Et je n'ai pas vraiment le choix, car les calmes sont trop calmes pour laisser la voile arrisée, et les coups de vent trop forts pour laisser la voile haute.
Il fait froid, c'est rude de naviguer la nuit, fin décembre. En tout, je m'accorde deux siestes de cinq minutes, mais pas plus. Il y a quelques bateaux de pêche et puis, je redoute une rébellion surprise des vagues. On ne sait jamais, par ici. Les catalanes sont rebelles.
Il est 5h du matin, et j'arrive devant Vilanova i la Geltru (à une trentaine de milles de Barcelone). Je suis vraiment fatiguée par la nuit qui a été glaciale et fatigante avec toutes ces manœuvres nécessaires. "Qu'est-ce que je fais?" je réfléchis à voix haute. "Tu en penses quoi, Tara Tari ? On s'accorde une petite pause, ça te va?"
La nuit est encore bien sombre et je m'approche doucement du port. Il est 6h30 et je ne suis plus qu'à quelques longueurs du feu vert de l'entrée du port. Quand soudain un bateau de pêche sort du port à fond les ballons, puis un deuxième et un troisième..... C'est quoi cette histoire?! A la queue leu-leu, les bateaux de pêche de Vilvanova sortent comme des fusées; j'en compte 37!!
J'hallucine complètement, c'est la guerre ou quoi ?! Pauvres poissons! Aux abris! ai-je envie de leur crier. Mais je préfère éclairer mes voiles avec la lampe. Car si les feux de mât fonctionnent, je préfère être trop vue que pas assez. Je surveille de tous les côtés.
Les bateaux ont des lumières rouges et vertes qui permettent de savoir, la nuit en mer, dans quelle direction va le bateau. Par exemple, si je vois le feu vert du bateau, cela signifie que je vois son côté tribord, inversement, si je vois une loupiote rouge, c'est que je vois le côté babord. Le problème, c'est que quand on voit feu rouge ET le feu vert, cela signifie que le bateau nous fonce dessus. Et là, il ne faut pas réfléchir beaucoup et vite changer sa trajectoire pour éviter la collision. Surtout que ces bateaux vont très vite.
Feu rouge, ok. Feu vert par là, ok. Ah: feux rouges et verts, vite il faut que l'un de nous change sa route! J'ai l'impression d'être dans un jeu vidéo. Quel stress! Ils déboulent à toute allure et Tara Tari et moi serons les fesses, passons entre tous ces fous furieux. "Heureusement que tu as décroché ta médaille en slalom spécial hier, TaraTari! cela nous est d'une précieuse aide!"
J'essaie de démarrer le moteur. Impossible. Ce n'est pas un problème de démarrage ou de compression. Il y a un point dur. La manivelle ne bouge pas d'un millimètre, exactement comme à Marseille. Bon je vais faire sans. Je continue de surveiller les feux, et éclaire mes voiles, je fais un petit tour pour ne pas me retrouver juste devant la sortie du port. Je prends la VHF portable. Canal 9, celui qui permet de joindre le port. Je préviens de ma présence, espérant que les pêcheurs sont eux aussi à l'écoute.
Je préviens la capitainerie de mon arrivée... à la voile.
Le jour arrive doucement, et j'arrive dans ce grand port, au près dans le petit temps. Au près, donc j'enchaîne les virements de bords. Il n'y a plus beaucoup de vent et je ne dois donc pas faire de manque à virer car je dois garder un peu de vitesse pour rester manoeuvrante. Les gars de la capitainerie sont très désagréables me disent de me dépêcher car les deux gars qui m'indiquent avec une lampe de poche l'emplacement que je dois prendre "ont froid". Pauvres biquettes.
Un emplacement étroit, perpendiculaire au ponton, entre deux bateaux sur pendilles. Je n'ai jamais fait une telle manoeuvre de port à la voile. Mais visiblement ici personne n'a très envie de m'aider, alors je gère comme je peux et je réussis ma manoeuvre. Je suis exténuée mais fière d'avoir réussi, heureuse de ne pas être à Barcelone, soulagée d'être enfin repartie. J'amarre le bateau, fait revenir la pendille au support de dérive pour ne pas avoir a tirer trop sur la ferrure du pataras. Prendre soin du bateau, c'est le principal; je fais un petit tour d'inspection générale, et range bien les voiles. Tout est ok. Je me refuge au creux de TaraTari, m'allonge et m'endors en une minute.
Trois heures plus tard, je me réveille. Dehors, quelqu'un m'appelle.
...
la suite, très vite ; )
Capucine
bon départ de Barcelone |
slalom spécial |
L'intensité du vent semble mollir, et je bouquine tranquillement, une main sur la barre. Mais au loin, une sorte de baleine géante arrive à fond les ballons. Je pose mon bouquin et fronce les sourcils. C'est quoi ce truc. Une étrave noire arrive un petit peu trop rapidement à mon goût. Pas de doute, elle me fonce dessus. Je pousse la barre en grand, change nettement de cap, comme pour sortir du viseur de ce gros machin. Mais le gros machin en question change de trajectoire et je me retrouve encore dans son viseur. Non, mais, c'est quoi ce bateau?! L'angoisse. Je ne peux rien faire. Un rapide tour d'horizon, pas un autre bateau aux alentours. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je vais devoir me débrouiller. En 4 secondes, le bateau arrive et fait une sorte de gros dérapage dans mon tableau arrière, du coup je vois le navire de côté. Tara Tari, je crois que nous allons faire une rencontre d'un nouveau genre.
La Guardia Civil. Police militaire espagnole.
Ils s'approchent. Et avec leur gros bateau, ils sont désormais à deux mètres de TaraTari. Cinq hommes sont sur le pont. "Hola messieurs". Là, je suis contente de parler couramment espagnol.
- "Bonjour, vous venez d'où?"
- "Là? euh de Barcelone"
- "Tu es d'où?'
- "Je suis Française"
- "Et le bateau, il vient d'où ?"
- "Du Bangladesh"
- "C'est quoi ça, le drapeau du Japon?"
- "euh... non... celui du Bangladesh" (tu n'as qu'à demander aux élèves de 5è5 si tu ne sais pas...)
- "Tu es seule ?"
- "Oui"
Je n'aime pas trop ce questionnaire et décide de prendre les devants, craignant de les voir monter à bord et fouiller dans mes affaires à la recherche de je ne sais quoi.
" Vous voulez voir les papiers du bateau ?"
- "Attends" me disent-ils d'un ton assez autoritaire.
Non, vraiment, je n'aime pas trop tout ça.
- "J'ai fait quelque chose de mal?" demande-je alors avec une naïveté un peu improvisée.
- Non.
Ils se tiennent debout sur la passerelle, les jambes un peu écartées, les mains sur le ceinturon, genre cowboys des temps modernes. Ils m'interrogent encore:
"Mais tu viens d'où et tu vas où ?"
- "Je viens de France, de La Ciotat et je vais..."- je réfléchis une seconde, si je réponds "Miami" la conversation va durer, je trouve autre chose, de plus plausible, de plus vague - "je descends vers le Sud".
- "Mais tu t'arrêtes dans quel port ensuite ?"
- "Et bien, ça va dépendre du vent... j'aimerais arriver à Valence ou Alicante, mais j'imagine que je vais m'arrêter avant car les nuits sont longues et c'est fatiguant. - je tente la carte de la sensibilité.
- "Ah, vale vale".
Et les hommes se parlent, sourient.
- "Tu étais au ponton du Maritim, à Barcelone, non? " me demande l'un d'entre eux.
- "Oui."
- "Ah, j'avais vu ton bateau. Il est beau, mais encore plus beau sous voiles."
Cette remarque me soulage. je souffle et comprends que leur visite n'est que curiosité.
- "C'est le plus joli voilier du monde!" lance-je fièrement.
Ils rigolent.
- "On peut faire une photo ? "
- "Avec plaisir!"
Et les cowboys dégainent les téléphones portables, et nous mitraillent de photos.
- "Nous n'avons vraiment pas l'habitude de voir ce genre de bateau, (tu m'étonnes John) et encore moins l'habitude de rencontrer une jeune femme comme toi, qui navigue seule en plein mois de décembre ici! C'est fou!"
Je souris. Et nous discutons un peu. Enfin, le un peu dure bien 15 minutes.
- "Bon voyage!" me dit le pilote, en français
Les autres enchaînent "Bon vent!" "Sois prudente!" "Bon courage!"
Et celui qui avait repéré le bateau à Barcelone, me demande encore :
- "Mais si je comprends bien, cette navigation, ce bateau... c'est un mode de vie?"
- "C'est un peu ça. Il y a un but, mais qui se vit au quotidien et dans la simplicité.
- "Et bien, tu es bien courageuse!" me lance-t-il plein de respect.
- "Merci, à bientôt!"
Quelques signes de la main, et les voilà partis vers Barcelone.
Oufff. Fin de l'épisode Guardia Civil. Je tire la barre et reprends mon cap. "Et bien Tara Tari, voilà encore une étonnante rencontre!" Le soleil se couche et nous retrouvons notre calme.
Cette soirée a quelque chose de particulier. Je ne sais pas vraiment comme l'expliquer. Je suis sous le charme des couleurs et de la mer. En fait, je sais. je crois que je suis super heureuse d'être repartie. Mais vraiment. Je m'accorde quelques instants de contemplation. Le ciel devient rose. Je regarde TaraTari qui devient tout rose lui aussi. "Pas très viril, mon gars!" plaisante-je avec lui.
Je descends dans le bateau, sors l'harmonica, et joue un air léger, celui des Mystérieuses Cités d'Or.
♪ ♫ ♪♪ ♫♫ |
"Enfant du soleil, ton destin est sans pareil, l'aventure t'appelle, n'attends pas et cours vers elle "
L'air de ce dessin animé que je regardais petite, ne me quitte pas de la soirée.
Tout va bien ce soir à bord. Sincèrement.
La nuit tombe. Et le vent se renforce. "Comme d'hab!". Mais heureusement, le vagues sont praticables et la soirée ayant été plutôt paisible, je me sens d'attaque. J'ai l'impression de revenir un peu sur les lieux du crime de la tempête. Peur de me retrouver face à face avec le méchant de l'histoire.
La nuit est usante. Prendre un ris, le lâcher, prendre encore un ris, le lâcher et rebelotte. Je change de configuration de voile toute les heures. Et la nuit dure plus de 14h. Toutes ces manoeuvres réchauffent, mais c'est fatiguant. Et je n'ai pas vraiment le choix, car les calmes sont trop calmes pour laisser la voile arrisée, et les coups de vent trop forts pour laisser la voile haute.
Il fait froid, c'est rude de naviguer la nuit, fin décembre. En tout, je m'accorde deux siestes de cinq minutes, mais pas plus. Il y a quelques bateaux de pêche et puis, je redoute une rébellion surprise des vagues. On ne sait jamais, par ici. Les catalanes sont rebelles.
Il est 5h du matin, et j'arrive devant Vilanova i la Geltru (à une trentaine de milles de Barcelone). Je suis vraiment fatiguée par la nuit qui a été glaciale et fatigante avec toutes ces manœuvres nécessaires. "Qu'est-ce que je fais?" je réfléchis à voix haute. "Tu en penses quoi, Tara Tari ? On s'accorde une petite pause, ça te va?"
La nuit est encore bien sombre et je m'approche doucement du port. Il est 6h30 et je ne suis plus qu'à quelques longueurs du feu vert de l'entrée du port. Quand soudain un bateau de pêche sort du port à fond les ballons, puis un deuxième et un troisième..... C'est quoi cette histoire?! A la queue leu-leu, les bateaux de pêche de Vilvanova sortent comme des fusées; j'en compte 37!!
J'hallucine complètement, c'est la guerre ou quoi ?! Pauvres poissons! Aux abris! ai-je envie de leur crier. Mais je préfère éclairer mes voiles avec la lampe. Car si les feux de mât fonctionnent, je préfère être trop vue que pas assez. Je surveille de tous les côtés.
Les bateaux ont des lumières rouges et vertes qui permettent de savoir, la nuit en mer, dans quelle direction va le bateau. Par exemple, si je vois le feu vert du bateau, cela signifie que je vois son côté tribord, inversement, si je vois une loupiote rouge, c'est que je vois le côté babord. Le problème, c'est que quand on voit feu rouge ET le feu vert, cela signifie que le bateau nous fonce dessus. Et là, il ne faut pas réfléchir beaucoup et vite changer sa trajectoire pour éviter la collision. Surtout que ces bateaux vont très vite.
Feu rouge, ok. Feu vert par là, ok. Ah: feux rouges et verts, vite il faut que l'un de nous change sa route! J'ai l'impression d'être dans un jeu vidéo. Quel stress! Ils déboulent à toute allure et Tara Tari et moi serons les fesses, passons entre tous ces fous furieux. "Heureusement que tu as décroché ta médaille en slalom spécial hier, TaraTari! cela nous est d'une précieuse aide!"
J'essaie de démarrer le moteur. Impossible. Ce n'est pas un problème de démarrage ou de compression. Il y a un point dur. La manivelle ne bouge pas d'un millimètre, exactement comme à Marseille. Bon je vais faire sans. Je continue de surveiller les feux, et éclaire mes voiles, je fais un petit tour pour ne pas me retrouver juste devant la sortie du port. Je prends la VHF portable. Canal 9, celui qui permet de joindre le port. Je préviens de ma présence, espérant que les pêcheurs sont eux aussi à l'écoute.
Je préviens la capitainerie de mon arrivée... à la voile.
Le jour arrive doucement, et j'arrive dans ce grand port, au près dans le petit temps. Au près, donc j'enchaîne les virements de bords. Il n'y a plus beaucoup de vent et je ne dois donc pas faire de manque à virer car je dois garder un peu de vitesse pour rester manoeuvrante. Les gars de la capitainerie sont très désagréables me disent de me dépêcher car les deux gars qui m'indiquent avec une lampe de poche l'emplacement que je dois prendre "ont froid". Pauvres biquettes.
Un emplacement étroit, perpendiculaire au ponton, entre deux bateaux sur pendilles. Je n'ai jamais fait une telle manoeuvre de port à la voile. Mais visiblement ici personne n'a très envie de m'aider, alors je gère comme je peux et je réussis ma manoeuvre. Je suis exténuée mais fière d'avoir réussi, heureuse de ne pas être à Barcelone, soulagée d'être enfin repartie. J'amarre le bateau, fait revenir la pendille au support de dérive pour ne pas avoir a tirer trop sur la ferrure du pataras. Prendre soin du bateau, c'est le principal; je fais un petit tour d'inspection générale, et range bien les voiles. Tout est ok. Je me refuge au creux de TaraTari, m'allonge et m'endors en une minute.
Trois heures plus tard, je me réveille. Dehors, quelqu'un m'appelle.
...
la suite, très vite ; )
Capucine
samedi 24 décembre 2011
Joyeux Noël !
24/12/2011. Après un bon départ de Barcelone, Tara Tari et Capucine ont fait petite escale à Vilanova, à une trentaine de milles au sud de Barcelone, pour se reposer un peu avant de repartir vers le sud. La navigation assez éprouvante car les nuits durent plus de 14h et sont très froides. Le vent est fort mais la mer plutôt peu agitée. Tout va bien à bord. Tara Tari et Capucine sont repartis en mer, prochaine escale prévue à Valence d'ici quelques jours. Et apparemment de nombreuses petites anecdotes à lire bientôt ici.
petit message du bord :
" Noël ce sont de doux partages en famille, des moments souvent heureux et des histoires à lire, à raconter, à partager au coin du feu après un bon repas. Le Père Noël, grande intrigue des enfants, les cadeaux, le sapin, et encore de bons repas... Heureuses journées!
Lors des deux dernières 'éditions' de Noël, j'étais à l'hopital, opérée des jambes, mais entourée par ma famille. Cette année, c'est différent, je suis en mer...
Les rêves, parfois, se réalisent.
Il y a, à bord, un peu de tous ceux qui ont aidé à donner naissance à ce bateau, au Bangladesh, et ceux qui ont aidé Corentin et Watever à faire naviguer TaraTari jusqu'en France. Il y a aussi un peu de ceux qui ont participé au chantier de remise en forme chez FR Nautisme, un peu de ceux qui m'ont aidé à Lorient et Portlaf, à La Ciotat, à Marseille, à Barcelone, à Vilanova i la Geltru... et aussi un peu de tous ceux qui m'ont envoyé des messages de soutien. Cela fait du monde à bord!
TaraTari est un petit voilier magique, un super compagnon de voyage. Et tellement plus encore. Tous les deux, nous vivons une agréable solitude et avançons à notre rythme.
La nuit est froide, mais le thé est chaud alors tout va bien.
bonheur simple.
ce soir, je pense fort à mes parents, mes frères et à ma chère grand-mère.
à mes amis de Kerpape.
et aussi à ceux qui sont ou se sentent seuls.
Vive les rêves, les étoiles, et les petits bateaux en jute! Et le thé chaud.
Mille bonheurs à tous, il faut s'accrocher, oser, les rêves peuvent parfois se réaliser.
Joyeux Noël!
TaraTari & Capucine "
petit message du bord :
" Noël ce sont de doux partages en famille, des moments souvent heureux et des histoires à lire, à raconter, à partager au coin du feu après un bon repas. Le Père Noël, grande intrigue des enfants, les cadeaux, le sapin, et encore de bons repas... Heureuses journées!
Lors des deux dernières 'éditions' de Noël, j'étais à l'hopital, opérée des jambes, mais entourée par ma famille. Cette année, c'est différent, je suis en mer...
Les rêves, parfois, se réalisent.
Il y a, à bord, un peu de tous ceux qui ont aidé à donner naissance à ce bateau, au Bangladesh, et ceux qui ont aidé Corentin et Watever à faire naviguer TaraTari jusqu'en France. Il y a aussi un peu de ceux qui ont participé au chantier de remise en forme chez FR Nautisme, un peu de ceux qui m'ont aidé à Lorient et Portlaf, à La Ciotat, à Marseille, à Barcelone, à Vilanova i la Geltru... et aussi un peu de tous ceux qui m'ont envoyé des messages de soutien. Cela fait du monde à bord!
TaraTari est un petit voilier magique, un super compagnon de voyage. Et tellement plus encore. Tous les deux, nous vivons une agréable solitude et avançons à notre rythme.
La nuit est froide, mais le thé est chaud alors tout va bien.
bonheur simple.
ce soir, je pense fort à mes parents, mes frères et à ma chère grand-mère.
à mes amis de Kerpape.
et aussi à ceux qui sont ou se sentent seuls.
Vive les rêves, les étoiles, et les petits bateaux en jute! Et le thé chaud.
Mille bonheurs à tous, il faut s'accrocher, oser, les rêves peuvent parfois se réaliser.
Joyeux Noël!
TaraTari & Capucine "
lundi 19 décembre 2011
Questions
Barcelone, lundi 19 décembre. "Des milliers de fenêtres ouvertes dans le monde entier!" selon les organisateurs, "des centaines de fenêtres, mais surtout de nombreux rideaux et volets " selon une source proche de l'IMFO (Inspection Mondiale des Fenêtres Ouvertes)... Les chiffres révélés par la presse parlent d'eux-même. La première édition de la Journée Mondiale de la Fenêtre Ouverte est un succès. La fenêtre que nous attendions avec TaraTari s'entrouvre enfin et nous pouvons donc partir aujourd'hui. Quelle efficacité. Merci à tous!
Bons plans shopping de Noël au Corte Inglés? Bonnes adresses de bar tapas? Horaires de visite de la Sagrada Familia? Résultat du dernier match Barça/Madrid au Camp Nou? Avant de partir de Barcelone, il m'a fallu répondre à quelques questions.
Mais rien à voir avec celles-ci.
Questions de partage. Pendant mon escale, je suis régulièrement allée à l'école, au Lycée Français de Barcelone où j'ai grandi comme une petite Espagnole de la 6è à la Terminale, afin de rencontrer les élèves, leur parler de Tara Tari et répondre à leurs nombreuses questions.
Les palmiers, le soleil, les perruches vertes en liberté et les amis... j'avoue, c'était plutôt sympa comme cadre de scolarité. Je suis bien contente de revenir ici.
Jean-Cédric Walkowiak est prof d'Histoire Géographie. Il avait été mon professeur et m'invite à venir rencontrer les élèves de 5è5. Le thème de l'année des 5è est "le développement durable", et cela tombe plutôt bien.
Il y a une carte du monde, accrochée sur le mur de la classe et en la regardant je pose une question que je ne pensais pas forcément des plus fastoches."Savez-vous où se trouve le Bangladesh?"
"Làààà!!, à droite de l'Inde!" Balaises, les élèves de 5è5. Ils ont travaillé sur le projet d'une ONG, en Inde, qui recycle des sacs plastiques et n'ont donc eu aucun problème à situer le pays de naissance de Tara Tari. Au tableau, je parle du projet de Corentin, du jute et des recherches en cours, et puis du bateau et de l'aventure que je commence.
Pour ceux qui n'étaient pas en 5è ce matin-là, voici un petit film de présentation très bien fait par l'Associtation Watever, sur les recherches sur le jute menées par Corentin au Bangladesh :
Association Watever - Jute Project from Videaux on Vimeo.
Les doigts lèvent quelques questions. L'échange commence. Au tableau, j'essaie de répondre le plus pertinemment possible. Ce partage est génial. Les premières questions d'élèves de 12 ans sont spontanées et très terre à terre...
Les questions de garçons :
- Tu as la télé à bord de Tara Tari ?
- Tu emportes quoi comme jeu vidéo ?
- Mais si t'as ni télé, ni jeux vidéos tu dois d'ennuyer à mourir en mer ?!
Les questions de filles :
- Tu as déjà vu des dauphins ?
- Ta famille ne te manque pas trop ?
- Tu fais comment pour te laver les cheveux ?
Les questions / remarques les plus dramatiques :
- Tu vas faire comment pour recevoir les cadeaux, à Noël ?
- Quand j'y pense, je n'arrive pas à croire que tu n'aies pas de télé.
Les questions des futurs Bac Scientifique :
- Quelles sont tes sources d'énergie à bord ?
- Combien d'énergie solaire consommes-tu par jour ?
Les questions des futurs Bac Littéraire :
- Tu emportes quoi comme livres?
- Quels sont tes auteurs préférés ?
La question la plus philosophique :
- Que se passe-t-il quand le vent tourne ?
La question visiblement la plus importante :
- Tu manges quoi en mer ?
La question la plus hors sujet :
- Ils s'appellent comment tes frères?
La remarque la plus développement durable (d'un petit garçon de 12 ans qui a tout compris:) :
- "Avant il y avait du bois, ils ont fait des bateaux en bois et maintenant il n'y a plus de bois. Maintenant il y a du jute, ils vont faire des bateaux en jute et donc après il n'y aura plus de jute. Si je peux me permettre, il faudra faire attention à l'exploitation de cette plante avant de faire trop de bateaux"
La question qui a provoqué un fou-rire général de 17 minutes :
- Tu fais comment pour aller aux toilettes ?
La cloche sonne au milieu des rires.
Et puis j'ai eu le plaisir d'être invitée à l'antenne de Planète Radio, la radio du Lycée Français. Animateurs du "Café des Sports", Carlo et Thibault ont vraiment du talent. Avec Anne, qui gère la radio, ils ont préparé leur interview comme des pros. Il faut dire qu'ils ont de l'expérience. Ils ont déjà reçu dans leur émission les navigateurs Alex Pella (lui aussi ancien élève du LFB) et Jean-Pierre Dick, à l'occasion de la Barcelona World Race. Thibault est un passionné. Un virus familial puisqu'il a passé une année en bateau avec sa famille, quand il avait 5 ans. Son papa, prof de Maths au Lycée, est lui aussi un mordu de bateaux et a créé une page entièrement dédiée à TaraTari sur la page web de la radio du LFB.
Mon escale se prolonge, alors à la demande des élèves, je reviens pour un nouvel échange et de nouvelles questions. Ces nouvelles questions portaient sur la navigation, la sécurité et sur le développement durable. Difficile de les lister, il y en a eu une soixantaine.
Cependant, en voici une : "Que se passe-t-il si tu as un problème grave à bord?" Question à laquelle j'ai répondu qu'avant tout, la meilleure façon d'éviter un problème était de l'anticiper, de prendre les précautions nécessaires pour que le problème n'arrive pas. Mais quand un problème arrive malgré tout, alors il faut garder son sang-froid, analyser la situation pour agir vite et bien, par ordre de priorité : mettre le bateau en sécurité, prévenir les secours etc.
Anticiper c'est une clef du développement durable et nous en parlons avec les élèves.
Cette semaine, je ne suis pas d'humeur très joyeuse parce que juste à côté de chez moi, en Bretagne, un cargo s'est échoué sur une plage. C'est nul. Ça suffit les bêtises. Il y avait une grosse tempête d'annoncée et pourtant le cargo a quitté le port. Lui, il n'a pas anticipé. Résultat, une immense pollution dans un petit coin de Bretagne qui n'a rien demandé à personne et qui se retrouve tout mazouté. Anticiper, c'est valable aussi pour les cargos: on ne part pas en mer quand une énorme tempête est annoncée, point.
Enfin voilà pour l'actu crève-coeur. Communiqué et photos à voir ici.
Si tout va bien, je quitte Barcelone aujourd'hui. Contente de partir. Je ne peux attendre plus longtemps ici, si je souhaite être à l'heure pour mon rendez-vous avec les alizés qui me permettront de traverser.
Les échanges avec les élèves et les professeurs ont été très intéressants. Merci beaucoup à Madame Emorine, proviseur du Lycée Français de Barcelone, à Valérie Cazaubon, Olga Tugues, Jean-Cédric Walkowiak, Jean-François Lecarpentier, Anne Reboul et tous les élèves, pour leur accueil. Je sais que TaraTari est suivi ici... merci!
Pour combien de temps je pars? je ne le sais pas vraiment, les conditions sont instables. Les nuits sont très longues et très froides. Avec 3°C max la nuit, même avec un bon bonnet, je suis assez vite gelée, et je me mettrai à l'abri dans un port si je suis trop fatiguée. Il semblerait par ailleurs que la fenêtre reste ouverte quelques jours: "Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) estime que la durée de vie moyenne d’une fenêtre ne peut pas excéder 30 ans." - ça me laisse un peu de marge - C'est en tout cas ce que j'ai pu lire dans un article intéressant intitulé "Comment bien choisir ses fenêtres?"
Avant de partir, je voulais aussi partager avec vous la question que j'ai préférée, posée par une des élèves de 5è, à la fin de l'heure :
- "Et tu veux faire quoi quand tu seras grande ?"
j'ai adoré.
C'est chouette de partager. A part le mazout.
A bientôt,
Capucine
Mais rien à voir avec celles-ci.
Questions de partage. Pendant mon escale, je suis régulièrement allée à l'école, au Lycée Français de Barcelone où j'ai grandi comme une petite Espagnole de la 6è à la Terminale, afin de rencontrer les élèves, leur parler de Tara Tari et répondre à leurs nombreuses questions.
Les palmiers, le soleil, les perruches vertes en liberté et les amis... j'avoue, c'était plutôt sympa comme cadre de scolarité. Je suis bien contente de revenir ici.
le hic: collections de marrons impossibles. |
Jean-Cédric Walkowiak est prof d'Histoire Géographie. Il avait été mon professeur et m'invite à venir rencontrer les élèves de 5è5. Le thème de l'année des 5è est "le développement durable", et cela tombe plutôt bien.
Il y a une carte du monde, accrochée sur le mur de la classe et en la regardant je pose une question que je ne pensais pas forcément des plus fastoches."Savez-vous où se trouve le Bangladesh?"
"Làààà!!, à droite de l'Inde!" Balaises, les élèves de 5è5. Ils ont travaillé sur le projet d'une ONG, en Inde, qui recycle des sacs plastiques et n'ont donc eu aucun problème à situer le pays de naissance de Tara Tari. Au tableau, je parle du projet de Corentin, du jute et des recherches en cours, et puis du bateau et de l'aventure que je commence.
Pour ceux qui n'étaient pas en 5è ce matin-là, voici un petit film de présentation très bien fait par l'Associtation Watever, sur les recherches sur le jute menées par Corentin au Bangladesh :
Association Watever - Jute Project from Videaux on Vimeo.
Les doigts lèvent quelques questions. L'échange commence. Au tableau, j'essaie de répondre le plus pertinemment possible. Ce partage est génial. Les premières questions d'élèves de 12 ans sont spontanées et très terre à terre...
Les questions de garçons :
- Tu as la télé à bord de Tara Tari ?
- Tu emportes quoi comme jeu vidéo ?
- Mais si t'as ni télé, ni jeux vidéos tu dois d'ennuyer à mourir en mer ?!
Les questions de filles :
- Tu as déjà vu des dauphins ?
- Ta famille ne te manque pas trop ?
- Tu fais comment pour te laver les cheveux ?
Les questions / remarques les plus dramatiques :
- Tu vas faire comment pour recevoir les cadeaux, à Noël ?
- Quand j'y pense, je n'arrive pas à croire que tu n'aies pas de télé.
Les questions des futurs Bac Scientifique :
- Quelles sont tes sources d'énergie à bord ?
- Combien d'énergie solaire consommes-tu par jour ?
Les questions des futurs Bac Littéraire :
- Tu emportes quoi comme livres?
- Quels sont tes auteurs préférés ?
La question la plus philosophique :
- Que se passe-t-il quand le vent tourne ?
La question visiblement la plus importante :
- Tu manges quoi en mer ?
La question la plus hors sujet :
- Ils s'appellent comment tes frères?
La remarque la plus développement durable (d'un petit garçon de 12 ans qui a tout compris:) :
- "Avant il y avait du bois, ils ont fait des bateaux en bois et maintenant il n'y a plus de bois. Maintenant il y a du jute, ils vont faire des bateaux en jute et donc après il n'y aura plus de jute. Si je peux me permettre, il faudra faire attention à l'exploitation de cette plante avant de faire trop de bateaux"
La question qui a provoqué un fou-rire général de 17 minutes :
- Tu fais comment pour aller aux toilettes ?
.. et la réponse. |
Et puis j'ai eu le plaisir d'être invitée à l'antenne de Planète Radio, la radio du Lycée Français. Animateurs du "Café des Sports", Carlo et Thibault ont vraiment du talent. Avec Anne, qui gère la radio, ils ont préparé leur interview comme des pros. Il faut dire qu'ils ont de l'expérience. Ils ont déjà reçu dans leur émission les navigateurs Alex Pella (lui aussi ancien élève du LFB) et Jean-Pierre Dick, à l'occasion de la Barcelona World Race. Thibault est un passionné. Un virus familial puisqu'il a passé une année en bateau avec sa famille, quand il avait 5 ans. Son papa, prof de Maths au Lycée, est lui aussi un mordu de bateaux et a créé une page entièrement dédiée à TaraTari sur la page web de la radio du LFB.
au micro gîté de Carlo et Thibault |
Cependant, en voici une : "Que se passe-t-il si tu as un problème grave à bord?" Question à laquelle j'ai répondu qu'avant tout, la meilleure façon d'éviter un problème était de l'anticiper, de prendre les précautions nécessaires pour que le problème n'arrive pas. Mais quand un problème arrive malgré tout, alors il faut garder son sang-froid, analyser la situation pour agir vite et bien, par ordre de priorité : mettre le bateau en sécurité, prévenir les secours etc.
Anticiper c'est une clef du développement durable et nous en parlons avec les élèves.
Cette semaine, je ne suis pas d'humeur très joyeuse parce que juste à côté de chez moi, en Bretagne, un cargo s'est échoué sur une plage. C'est nul. Ça suffit les bêtises. Il y avait une grosse tempête d'annoncée et pourtant le cargo a quitté le port. Lui, il n'a pas anticipé. Résultat, une immense pollution dans un petit coin de Bretagne qui n'a rien demandé à personne et qui se retrouve tout mazouté. Anticiper, c'est valable aussi pour les cargos: on ne part pas en mer quand une énorme tempête est annoncée, point.
17 déc: le cargo TK BREMEN s'échoue sur une plage, à Etel (56). photo: Plisson |
Si tout va bien, je quitte Barcelone aujourd'hui. Contente de partir. Je ne peux attendre plus longtemps ici, si je souhaite être à l'heure pour mon rendez-vous avec les alizés qui me permettront de traverser.
Les échanges avec les élèves et les professeurs ont été très intéressants. Merci beaucoup à Madame Emorine, proviseur du Lycée Français de Barcelone, à Valérie Cazaubon, Olga Tugues, Jean-Cédric Walkowiak, Jean-François Lecarpentier, Anne Reboul et tous les élèves, pour leur accueil. Je sais que TaraTari est suivi ici... merci!
Pour combien de temps je pars? je ne le sais pas vraiment, les conditions sont instables. Les nuits sont très longues et très froides. Avec 3°C max la nuit, même avec un bon bonnet, je suis assez vite gelée, et je me mettrai à l'abri dans un port si je suis trop fatiguée. Il semblerait par ailleurs que la fenêtre reste ouverte quelques jours: "Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) estime que la durée de vie moyenne d’une fenêtre ne peut pas excéder 30 ans." - ça me laisse un peu de marge - C'est en tout cas ce que j'ai pu lire dans un article intéressant intitulé "Comment bien choisir ses fenêtres?"
Avant de partir, je voulais aussi partager avec vous la question que j'ai préférée, posée par une des élèves de 5è, à la fin de l'heure :
- "Et tu veux faire quoi quand tu seras grande ?"
j'ai adoré.
C'est chouette de partager. A part le mazout.
A bientôt,
Capucine
jeudi 15 décembre 2011
Journée Mondiale de la Fenêtre Ouverte
Barcelone, jeudi 15 décembre. Le vent siffle un match sans fin. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit. C'est un peu pénible, ce vent fort. Cela fait plusieurs jours maintenant que je suis à Barcelone en attente d'une météo plus favorable qui ne semble pas pressée d'arriver. Barcelone est une ville que j'aime beaucoup mais j'avoue avoir hâte de m'en aller. Nous sommes en plein hiver, les nuits sont longues, froides et humides, mais qu'importe, en mer à bord de TaraTari je me sens tellement bien...
Aujourd'hui, la ville est soufflée par le vent qui fait tomber les pots de fleurs, voler les poubelles et les chapeaux, et pourtant dans ce grand tourbillon, je n'ai qu'une envie, celle de repartir.
Il y a quelques jours, j'ai essayé mais je suis revenue après 24 heures de navigation dans une mer trop démontée et depuis, pas de répit. Le vent souffle fort, très fort et creuse la mer entre Barcelone et Valence. Je pensais repartir hier, mais au petit matin, les fichiers météo annonçaient un nouveau coup de vent violent prévu demain. La tempête qui touche l'Atlantique ces jours-ci doit avoir envoyé quelques troupes de forces spéciales le long des côtes espagnoles. La Méditerranée et ce passage devant Taragonne sont assez redoutables au mois de décembre. Ici, on dit que c'est la période fatale. Le terme fait froid dans le dos. Il faut notamment que je me méfie du "Garbi", un vent local assez méchant qui souffle dans une sorte de couloir entre Barcelone et Valence (d'où les vagues toutes pourries). Un maximum de prudence s'impose. Et comme en ce moment rester à l'abri est une nécessité, je fais le nécessaire et reste au port.
Tara Tari est au vieux port et d'ici, je vois la statue de Christophe Colomb. Statue emblématique. Il doit avoir mal au bras, à force, le pauvre Cristobal et il pourrait en avoir marre de me montrer la direction, mais non, il tient bon. Mmmm mmm mm mmm mmm mmm mmm mmm mm j'ai l'air de la musique du film dans la tête et je le fredonne toute la journée. Assise sur le pont, mes pensées filent dans tous les sens. Je n'ai plus envie de regarder la main, mais le large que celle-ci pointe du doigt. Cette statue, cet air entraînant appellent au départ. Mais nous sommes là, amarrés, immobiles.
Je ressors la carte, mon carnet et un crayon et identifie pour la millième fois les abris possibles sur la côte. Avec TaraTari nous travaillons sans relâche sur notre prochaine mission, que nous avons appelée Salto de Pulga (traduction facile..). Nous irons de port en port et tenterons de privilégier les navigations diurnes et éviter ainsi la brise nocturne problématique. D'un point de vue extérieur, on pourra croire que nous jouons au jeu "1 2 3 soleil" puisque nous allons avancer, nous arrêter, avancer, nous arrêter etc, mais en fait pas du tout. ça n'a rien d'un jeu. Cette technique semble être la plus efficace pour poursuivre, ni vus ni connus, la descente vers le Sud, le long des côtes espagnoles sans perdre plus de temps pour rallier Gibraltar. MAIS pour que le plan se déroule sans encombre, nous avons besoin d'un petit coup de main (voire de poignet).
La météo est mauvaise et dans le jargon marin, on dit qu'il faut attendre une "bonne fenêtre" pour partir en mer. On s'en doute mais cette fenêtre est l'image de la petite période de météo plus clémente, qui rendra la navigation praticable. "Bon vent belle mer" comme on dit en Bretagne, ou "le pied" comme on peut le dire aussi, plus familièrement, dans toutes les régions. Une bonne fenêtre en tout cas, c'est exactement ce dont nous avons besoin, avec Tara Tari.
Alors voilà. Je me disais qu'avec l'aide d'un peu tout le monde, nous pourrions peut-être changer les choses en nous mobilisant lors d'une "Journée Mondiale de la Fenêtre Ouverte". Les journées à thème ont pour but d'attirer l'attention sur des enjeux internationaux importants (c'est le cas), portées par des ONG, des associations ou des petits bateaux en jute (c'est le cas) et largement suivies par le monde. Aussi je me suis renseignée, le 11 décembre était la "Journée Mondiale de la Montagne", le 20 décembre sera la "Journée Mondiale de la Solidarité", alors entre les deux, on pourrait peut-être dédier une journée à la Fenêtre. Flattée par une telle considération, elle pourrait alors revenir sur sa position, s'ouvrir et donc nous laisser passer, TaraTari et moi.
Pendant cette journée il faudra ouvrir une fenêtre en pensant fort fort fort à Tara Tari.
Dans un appart', une maison, une yourte, une voiture, dans une cabane, un train, en haut d'un phare ou dans unsous-marin euh mauvaise idée, un chalet, une tente quechua, etc... n'importe quelle fenêtre, tant que le coeur y est. Je sais, c'est la tempête en ce moment, et on doit dire partout de fermer fenêtres et volets mais si tout le monde ferme tout, nous ne passerons jamais, nous. En ouvrant la fenêtre sous le vent ça devrait ne pas faire trop de dégât ou alors on attend que la grosse tempête soit passée... A voir. Mais il est important de n'ouvrir qu'une fenêtre à la fois par foyer pour éviter les courants d'air, néfastes au bon déroulement de l'opération Salto de Pulga.
Cela marche aussi avec les vélux et les baies vitrées. Le truc, c'est juste qu'il faut laisser la fenêtre ouverte un bon petit moment pour que l'on ait le temps de passer : Tara Tari mesure 9 mètres et nous n'allons pas très très vite. Nous pourrions nous casser le nez à cause d'une fermeture trop rapide. Cela n'arrangerait probablement rien.
Quelques personnes qui ont eu vent de cette initiative ont commencé à se mobiliser en ouvrant des fenêtres un peu partout en pensant à TaraTari. c'est vraiment sympa - quelques photos ci-dessous.
La Méditerranée au mois de décembre... difficile de faire pire. Mais c'est comme ça. On ne va pas s'arrêter là. Et du coup, avec Tara Tari, on a besoin de vous pour ouvrir la fenêtre !
si ça marche, ça navigue. j'ai hâte!
Merci beaucoup pour votre aide,
Capucine
etc.
PS: de notre côté, hublot ouvert! Prêts à partir!
Aujourd'hui, la ville est soufflée par le vent qui fait tomber les pots de fleurs, voler les poubelles et les chapeaux, et pourtant dans ce grand tourbillon, je n'ai qu'une envie, celle de repartir.
Conditions d'arrivée en Espagne: vent et mer plate, l'idéal existe. |
Je ressors la carte, mon carnet et un crayon et identifie pour la millième fois les abris possibles sur la côte. Avec TaraTari nous travaillons sans relâche sur notre prochaine mission, que nous avons appelée Salto de Pulga (traduction facile..). Nous irons de port en port et tenterons de privilégier les navigations diurnes et éviter ainsi la brise nocturne problématique. D'un point de vue extérieur, on pourra croire que nous jouons au jeu "1 2 3 soleil" puisque nous allons avancer, nous arrêter, avancer, nous arrêter etc, mais en fait pas du tout. ça n'a rien d'un jeu. Cette technique semble être la plus efficace pour poursuivre, ni vus ni connus, la descente vers le Sud, le long des côtes espagnoles sans perdre plus de temps pour rallier Gibraltar. MAIS pour que le plan se déroule sans encombre, nous avons besoin d'un petit coup de main (voire de poignet).
objectif de la mission Salto de Pulga; progresser vers le sud. |
La météo est mauvaise et dans le jargon marin, on dit qu'il faut attendre une "bonne fenêtre" pour partir en mer. On s'en doute mais cette fenêtre est l'image de la petite période de météo plus clémente, qui rendra la navigation praticable. "Bon vent belle mer" comme on dit en Bretagne, ou "le pied" comme on peut le dire aussi, plus familièrement, dans toutes les régions. Une bonne fenêtre en tout cas, c'est exactement ce dont nous avons besoin, avec Tara Tari.
- une fenêtre - |
Alors voilà. Je me disais qu'avec l'aide d'un peu tout le monde, nous pourrions peut-être changer les choses en nous mobilisant lors d'une "Journée Mondiale de la Fenêtre Ouverte". Les journées à thème ont pour but d'attirer l'attention sur des enjeux internationaux importants (c'est le cas), portées par des ONG, des associations ou des petits bateaux en jute (c'est le cas) et largement suivies par le monde. Aussi je me suis renseignée, le 11 décembre était la "Journée Mondiale de la Montagne", le 20 décembre sera la "Journée Mondiale de la Solidarité", alors entre les deux, on pourrait peut-être dédier une journée à la Fenêtre. Flattée par une telle considération, elle pourrait alors revenir sur sa position, s'ouvrir et donc nous laisser passer, TaraTari et moi.
Pendant cette journée il faudra ouvrir une fenêtre en pensant fort fort fort à Tara Tari.
Dans un appart', une maison, une yourte, une voiture, dans une cabane, un train, en haut d'un phare ou dans un
Cela marche aussi avec les vélux et les baies vitrées. Le truc, c'est juste qu'il faut laisser la fenêtre ouverte un bon petit moment pour que l'on ait le temps de passer : Tara Tari mesure 9 mètres et nous n'allons pas très très vite. Nous pourrions nous casser le nez à cause d'une fermeture trop rapide. Cela n'arrangerait probablement rien.
Depuis qu'il s'est pris une fenêtre fermée, le Sphinx de Gizeh n'avance plus. |
Quelques personnes qui ont eu vent de cette initiative ont commencé à se mobiliser en ouvrant des fenêtres un peu partout en pensant à TaraTari. c'est vraiment sympa - quelques photos ci-dessous.
La Méditerranée au mois de décembre... difficile de faire pire. Mais c'est comme ça. On ne va pas s'arrêter là. Et du coup, avec Tara Tari, on a besoin de vous pour ouvrir la fenêtre !
si ça marche, ça navigue. j'ai hâte!
Merci beaucoup pour votre aide,
Capucine
etc.
PS: de notre côté, hublot ouvert! Prêts à partir!
Hublot de la descente ouvert à bord de TaraTari |
vendredi 9 décembre 2011
le jour où Djian Dong m'a dit 是
Mardi 6 décembre. Aujourd'hui est un jour férié à Barcelone, mais ce n'est pas une raison pour se tourner les pouces. Il est plus utile de tourner la manivelle. Je farfouille dans mon sac. Mon petit cahier est un peu corné et encore trempé. Page "A faire à La Ciotat, à Marseille, à Barcelone, à Alicante "... que je barre pour réécrire" à Barcelone". Soupir. Ce n'est pas gagné tout ça. Je parcours la liste. Mes yeux s'arrêtent sur la ligne redoutée: "- Démarrer le moteur (enfin réessayer)".
Aujourd'hui, 6 décembre 2011, je vais donc ré-ré-ré-ré-essayer de démarrer le petit moteur. Je dois avoir une notice quelque part. La voilà.
Djian Dong est un des héros de "L'aventure de Tara Tari"(ed. La Découvrance) écrit par Corentin. Personnage chinois, capricieux, plusieurs fois mort et ressuscité, souvent malade et/ou en grève...Djian Dong est aussi un moteur un peu misogyne. Lors de notre navigation de Lorient à Concarneau, avec Corentin, mes différentes tentatives de démarrage étaient toutes restées vaines. Je n'ai eu le droit qu'à un petit toussotement de rien du tout quand Corentin réussissait lui, du premier coup, à le faire rugir. Un chouillat frustrant après des heures de tentatives. Mais que voulez-vous. Djian Dong n'est pas un moteur facile. Il ne se laisse pas démarrer pas comme ça, par n'importe qui, n'importe quand. "Laissons-nous un peu de temps, Djian Dong" lui avais-je alors proposé, arrangeante.
Sur le papier, comme ça, ça semble simple. Mais en fait pas du tout. Il faut commencer par trouver la bonne position car Djian Dong vit planqué sous le plancher de la descente et l'espace intérieur est comment dire, assez intimiste. Ensuite, il faut s'emballer la main droite pour les droitiers dans un chiffon, et vraiment bien ficeler l'ensemble. Gare à l'imprudent qui laisserait à nu un petit morceau de peau, une phalange ou pis encore, un pouce entier. Avec la main bien emballée dans le tissu, il faut tenir la manivelle. L'autre main doit se glisser sur le côté gauche de l'engin, et avec le pouce, il faut pousser le décompresseur. Le décompresseur censé faciliter le démarrage et permettant de franchir plus facilement la compression. Tu parles, d'une facilité. L'auteur de cette brillante déclaration, a-t-il essayé ne serait-ce qu'une fois de démarrer Djian Dong?!
Et pendant que tu te fais mal au pouce gauche à pousser le petit truc du décompresseur, il faut tourner la manivelle avec la main droite. Mais elle est mobile, la manivelle. C'est à dire qu'il faut appuyer en même temps que tu tournes. Il arrive que, et alors que la bonne position et l'énergie pour lancer les tours de manivelle sont enfin trouvées, et bien le petit chiffon se déballe. Opération ratée. Il faut tout recommencer. Ne surtout pas croire que la manoeuvre est possible sans le chiffon autour de la main. Non, non, non. Corentin a insisté et il a eu raison. Une seule tentative sans chiffon.. et j'ai compris, je ne ferai plus l'impasse.
Quelques tours de manivelle demandent déjà un bon état d'esprit, de l'énergie et du temps libre. Il faut tourner, tourner, tourner, tourner, tourner encore, pas moins d'une bonne dizaine de fois, mais avec un peu de malchance - fréquente à cette étape - la manivelle ripe. D'où le truc du chiffon héhé. De manière assez systématique, le haut de la main vient s'éclater contre le dessous du plancher. Au bout de 5 ripages de manivelle, même sans se faire mal, une pause est obligatoire. Il faut alors souffler un peu, ne pas trop râler et recommencer avec tout autant d'énergie. C'est aussi à ce moment là, que l'on enlève un pull.
Quelques nouveaux tours de manivelle plus tard, vient le moment fatidique où il faut lâcher le petit bidule métallique qui s'est déjà à moitié incrusté dans le pouce gauche, et continuer à tourner la manivelle avec la main droite, toujours minutieusement emballée. C'est en effet là que tout se complique. Car le décompresseur ne décompresse plus. Normal, puisqu'il faut que la compression soit rétablie dès que le point dur a été franchi, sous peine de ne pas pouvoir démarrer. Sous peine de - tu parles. Au tribunal des moteurs, j'ai dû prendre la peine maximum: le moteur ne démarre ja-mais. Combat à armes inégales. Bras de fer perdu à tous les coups contre Djian Dong.
"Hé, Djian Dong, tu dis comment "faut se détendre" en chinois?!"
Pas de réponse.
pff. je bloque toujours au même moment. Au moment où je retire mon deuxième pull et commence à souffler comme un bison fuyant Buffalo Bill. "J'en ai plein le bras, moi!" - je sors prendre l'air sur le pont. Une pause s'impose.
A quoi ressemble Djian Dong? Hier encore, j'aurais dit à une murène. Sale bête.
Retour à l'intérieur du bateau. Par discrétion, je vais me cacher derrière la bouilloire pour le photographier. Les photos, ce n'est pas trop son truc, à Djian Dong. Il préfère les schémas. Dans ses affaires, pas un album de famille mais des collections entières de notices, avec des schémas sur toutes les pages.
Une murène. Gros poisson qui ne bouge jamais de son trou et qui fait le méchant pour un rien. Djian Dong, une murène. Pas très flatteur Mais bon. Il l'a cherché.
Comparons.
Murène :
- Biotope: fonds rocheux, crevasses, anfractuosités.
- Description: corps anguilliforme, robuste et légèrement comprimé latéralement, surtout dans sa partie postérieure. La tête est courte, massive, à profil bombé. Les dents sont longues et pointues. Les nageoires pectorales et ventrales sont absentes. La peau, dépourvue d'écailles, est lisse et épaisse.
- Alimentation: Poissons, poulpes. Sa morsure n’est pas venimeuse mais n’en est pas moins douloureuse. Une morsure de murène peut s'infecter sérieusement car leurs dents sont garnies de bactéries et de germes.
- Comportement : Agressive, elle peut mordre si elle se sent menacée. Animal isolé et territorial.
Djian Dong :
- Biotope : Planqué sous le plancher de la descente.
- Despcription: corps djiandongiforme, robuste et légèrement oxydé, surtout dans sa partie inférieure. La tête est plate et massive, de couleur métallique. Manivelle mobile qui provoque des égratignures fréquentes sur les mains. Les nageoires pectorales et ventrales sont absentes. La peau, dépourvue d'écailles, est lisse et épaisse.
- Alimentation: Gazole, diesel. Ses écorchures ne sont pas venimeuses mais n’en sont pas moins douloureuses. Une égratignure de Djian Dong peut s'infecter sérieusement car les zones d'impact contiennent généralement un peu de rouille et autres substances mystérieuses.
- Comportement : Agressif, il peut mordre s'il se sent menacé. Moteur isolé et territorial.
Reprenons.
Tentative vaine. Suivante.
- "Tentative numéro Quarante trois mille six cents vingt deux! approchez"
La bonne.
Il faut dire que j'ai remplacé le petit tuyau d'arrivée d'eau de refroidissement. Ce n'est pas que l'ancien était moche, mais c'est que je l'ai perdu en mer, dans le Golfe du Lion. Un beau tuyau tout beau tout neuf, acheté à Barcelone, c'était Noël avant l'heure pour Djian Dong. ET ce n'est pas tout. Un peu de diesel tout frais tout neuf "Gran Reserva".
Tout s'est passé très vite. J'ai inspiré profondément. j'étais concentré sur l'objectif. j'ai lâché le petit bitonio à gauche et j'ai tourné fort fort fort la manivelle avec ma main bien emballée dans un tissu pourtant plein de rouille, quand soudain un petit pop pop pop m'a donné de l'espoir. Son petit pot a crachouillé puis craché plus franchement. J'ai tout de suite compris que c'était bon.
Emue, j'ai regardé Djian Dong : "Est-ce vrai? As-tu accepté, pour de vrai, de démarrer avec moi ?"
Et Djian Dong, imperturbable, m'a répondu " 我想是的 "
C'était le 6 décembre 2011, à Barcelone.
Et je fais la promesse de ne plus jamais traiter Djian Dong de murène.
Capucine
Aujourd'hui, 6 décembre 2011, je vais donc ré-ré-ré-ré-essayer de démarrer le petit moteur. Je dois avoir une notice quelque part. La voilà.
Comprendre Djian Dong, Part One |
Djian Dong est un des héros de "L'aventure de Tara Tari"(ed. La Découvrance) écrit par Corentin. Personnage chinois, capricieux, plusieurs fois mort et ressuscité, souvent malade et/ou en grève...Djian Dong est aussi un moteur un peu misogyne. Lors de notre navigation de Lorient à Concarneau, avec Corentin, mes différentes tentatives de démarrage étaient toutes restées vaines. Je n'ai eu le droit qu'à un petit toussotement de rien du tout quand Corentin réussissait lui, du premier coup, à le faire rugir. Un chouillat frustrant après des heures de tentatives. Mais que voulez-vous. Djian Dong n'est pas un moteur facile. Il ne se laisse pas démarrer pas comme ça, par n'importe qui, n'importe quand. "Laissons-nous un peu de temps, Djian Dong" lui avais-je alors proposé, arrangeante.
Sur le papier, comme ça, ça semble simple. Mais en fait pas du tout. Il faut commencer par trouver la bonne position car Djian Dong vit planqué sous le plancher de la descente et l'espace intérieur est comment dire, assez intimiste. Ensuite, il faut s'emballer la main droite pour les droitiers dans un chiffon, et vraiment bien ficeler l'ensemble. Gare à l'imprudent qui laisserait à nu un petit morceau de peau, une phalange ou pis encore, un pouce entier. Avec la main bien emballée dans le tissu, il faut tenir la manivelle. L'autre main doit se glisser sur le côté gauche de l'engin, et avec le pouce, il faut pousser le décompresseur. Le décompresseur censé faciliter le démarrage et permettant de franchir plus facilement la compression. Tu parles, d'une facilité. L'auteur de cette brillante déclaration, a-t-il essayé ne serait-ce qu'une fois de démarrer Djian Dong?!
Et pendant que tu te fais mal au pouce gauche à pousser le petit truc du décompresseur, il faut tourner la manivelle avec la main droite. Mais elle est mobile, la manivelle. C'est à dire qu'il faut appuyer en même temps que tu tournes. Il arrive que, et alors que la bonne position et l'énergie pour lancer les tours de manivelle sont enfin trouvées, et bien le petit chiffon se déballe. Opération ratée. Il faut tout recommencer. Ne surtout pas croire que la manoeuvre est possible sans le chiffon autour de la main. Non, non, non. Corentin a insisté et il a eu raison. Une seule tentative sans chiffon.. et j'ai compris, je ne ferai plus l'impasse.
Quelques tours de manivelle demandent déjà un bon état d'esprit, de l'énergie et du temps libre. Il faut tourner, tourner, tourner, tourner, tourner encore, pas moins d'une bonne dizaine de fois, mais avec un peu de malchance - fréquente à cette étape - la manivelle ripe. D'où le truc du chiffon héhé. De manière assez systématique, le haut de la main vient s'éclater contre le dessous du plancher. Au bout de 5 ripages de manivelle, même sans se faire mal, une pause est obligatoire. Il faut alors souffler un peu, ne pas trop râler et recommencer avec tout autant d'énergie. C'est aussi à ce moment là, que l'on enlève un pull.
Quelques nouveaux tours de manivelle plus tard, vient le moment fatidique où il faut lâcher le petit bidule métallique qui s'est déjà à moitié incrusté dans le pouce gauche, et continuer à tourner la manivelle avec la main droite, toujours minutieusement emballée. C'est en effet là que tout se complique. Car le décompresseur ne décompresse plus. Normal, puisqu'il faut que la compression soit rétablie dès que le point dur a été franchi, sous peine de ne pas pouvoir démarrer. Sous peine de - tu parles. Au tribunal des moteurs, j'ai dû prendre la peine maximum: le moteur ne démarre ja-mais. Combat à armes inégales. Bras de fer perdu à tous les coups contre Djian Dong.
"Hé, Djian Dong, tu dis comment "faut se détendre" en chinois?!"
Pas de réponse.
pff. je bloque toujours au même moment. Au moment où je retire mon deuxième pull et commence à souffler comme un bison fuyant Buffalo Bill. "J'en ai plein le bras, moi!" - je sors prendre l'air sur le pont. Une pause s'impose.
A quoi ressemble Djian Dong? Hier encore, j'aurais dit à une murène. Sale bête.
Retour à l'intérieur du bateau. Par discrétion, je vais me cacher derrière la bouilloire pour le photographier. Les photos, ce n'est pas trop son truc, à Djian Dong. Il préfère les schémas. Dans ses affaires, pas un album de famille mais des collections entières de notices, avec des schémas sur toutes les pages.
c'est lui, là.. le planqué, sous le plancher. |
Une murène. Gros poisson qui ne bouge jamais de son trou et qui fait le méchant pour un rien. Djian Dong, une murène. Pas très flatteur Mais bon. Il l'a cherché.
Comprendre Djian Dong ; Part Two |
Murène :
- Biotope: fonds rocheux, crevasses, anfractuosités.
- Description: corps anguilliforme, robuste et légèrement comprimé latéralement, surtout dans sa partie postérieure. La tête est courte, massive, à profil bombé. Les dents sont longues et pointues. Les nageoires pectorales et ventrales sont absentes. La peau, dépourvue d'écailles, est lisse et épaisse.
- Alimentation: Poissons, poulpes. Sa morsure n’est pas venimeuse mais n’en est pas moins douloureuse. Une morsure de murène peut s'infecter sérieusement car leurs dents sont garnies de bactéries et de germes.
- Comportement : Agressive, elle peut mordre si elle se sent menacée. Animal isolé et territorial.
Djian Dong :
- Biotope : Planqué sous le plancher de la descente.
- Despcription: corps djiandongiforme, robuste et légèrement oxydé, surtout dans sa partie inférieure. La tête est plate et massive, de couleur métallique. Manivelle mobile qui provoque des égratignures fréquentes sur les mains. Les nageoires pectorales et ventrales sont absentes. La peau, dépourvue d'écailles, est lisse et épaisse.
- Alimentation: Gazole, diesel. Ses écorchures ne sont pas venimeuses mais n’en sont pas moins douloureuses. Une égratignure de Djian Dong peut s'infecter sérieusement car les zones d'impact contiennent généralement un peu de rouille et autres substances mystérieuses.
- Comportement : Agressif, il peut mordre s'il se sent menacé. Moteur isolé et territorial.
- Djian Dong - |
Tentative vaine. Suivante.
- "Tentative numéro Quarante trois mille six cents vingt deux! approchez"
La bonne.
Il faut dire que j'ai remplacé le petit tuyau d'arrivée d'eau de refroidissement. Ce n'est pas que l'ancien était moche, mais c'est que je l'ai perdu en mer, dans le Golfe du Lion. Un beau tuyau tout beau tout neuf, acheté à Barcelone, c'était Noël avant l'heure pour Djian Dong. ET ce n'est pas tout. Un peu de diesel tout frais tout neuf "Gran Reserva".
Tout s'est passé très vite. J'ai inspiré profondément. j'étais concentré sur l'objectif. j'ai lâché le petit bitonio à gauche et j'ai tourné fort fort fort la manivelle avec ma main bien emballée dans un tissu pourtant plein de rouille, quand soudain un petit pop pop pop m'a donné de l'espoir. Son petit pot a crachouillé puis craché plus franchement. J'ai tout de suite compris que c'était bon.
Emue, j'ai regardé Djian Dong : "Est-ce vrai? As-tu accepté, pour de vrai, de démarrer avec moi ?"
Et Djian Dong, imperturbable, m'a répondu " 我想是的 "
C'était le 6 décembre 2011, à Barcelone.
Et je fais la promesse de ne plus jamais traiter Djian Dong de murène.
Capucine
lundi 5 décembre 2011
Baston Labaffe. Barcelone - Alicante
Samedi 3 décembre. A bientôt Barcelona ! Mon frère qui était à bord pour la sortie du port est reparti. Il est 16h et me voilà seule avec Tara Tari, en route pour de nouvelles aventures.
De Barcelone à Alicante, il y a deux passages délicats, le Delta de l'Ebre au sud de Tarragone et le Cap de la Nao, au nord d'Alicante. Les fichiers météo semblent indiquer qu'une petite fenêtre s'est ouverte et me permet de partir dans un vent n'excédant pas 25 noeuds. Selon mes routeurs, je pourrais être à Alicante dans 5 ou 6 jours. Top. Un de mes principes de navigation pour la descente de la Méditerranée est de rester le long de la côte, et tant pis si cela allonge la route.
Le chemin vers Alicante est long, alors j'entre d'abord dans mon gps, Valence comme premier 'waypoint' d'arrivée, qui se situe à 163 milles nautiques de Barcelone.
Il y a environ dix noeuds de vent quand je quitte la capitale catalane et Tara Tari progresse à une vitesse stable de 4 noeuds. La mer, plate, rend la navigation bien agréable. Nous - TaraTari & moi - traversons le parking nautique des cargos. Ces gros bateaux m'impressionnent, je les regarde un moment. Bien contente qu'ils soient à l'arrêt.
Le soleil commence sa descente sur l'horizon et je savoure ce début d'intimité avec Tara Tari. Le pilote fonctionne alors je lui fais confiance et m'installe tout à l'arrière, assise sur les anciennes voiles, à ma "place de princesse" comme dit Corentin. Et pendant une heure, je joue de l'harmonica, offert par mon frère, à Barcelone. Je ne sais pas très bien jouer de l'harmonica, mais je vais avoir le temps d'apprendre - sans casser les oreilles des voisins - en mer. Alors je m'essaie à quelques airs de Moriarty: Cottonflower, Jimmy, Enjoy the Silence etc. Je ne sais pas si c'était très ressemblant (enfin je crois que je sais que non, ...) mais j'ai passé un super moment!
Une amie qui navigue, Sandrine Bertho, m'a dit un jour qu'en mer en solitaire, il ne faut pas attendre d'être fatiguée pour aller dormir, comme ça "on ne se met pas dans le rouge" comme disent les marins. Alors j'observe bien l'horizon à 360°, vérifie que le pilote tient bien le cap demandé et branche le Mer Veille - offert par Ciel et Marine. Tout est ok et je m'allonge sur la couchette - mousses bien confortables, d'origine et signées Jeremy Bertaud - pour me reposer 20 minutes. Le Mer Veille est un petit instrument super pratique qui détecte les cargos et autres bateaux; dès qu'il reçoit un signal radar, une alarme se déclenche et un petit voyant lumineux m'indique si le navire approchant est dans le quart avant ou arrière, tribord ou babord de Tara Tari. Un précieux outil!
D'après les fichiers, la nuit devait se passer relativement calmement, avec 13 - 15 noeuds de vent, et demain matin, dimanche, le vent devait tomber à 8, voire moins. Mais c'est une autre histoire qui démarre. La nuit est maintenant bien sombre et le vent tourne. J'observe ce qui m'entoure. Au dessus de ma tête la lune est brumeuse, les étoiles cachées par quelques nuages et le ciel bien noir tout au fond, au Sud... là où je vais. La mer se creuse. Bon. Tout cela m'indique que la nuit va certainement être plus sportive que je ne le pensais. A l'intérieur, je vérifie rapidement que tout est bien arrimé et puis je ressors, éclaire le mât, les barres de flèches (feu mes béquilles), les haubans, l'étai et le pataras, les cales en bois des dérives bref, un peu tout. Le vent souffle de plus en plus fort. Sud Sud Ouest, je l'ai en pleine figure. Le bateau est de plus en plus sur la tranche, je prends un ris. Bien calée au vent, je tiens bon la barre de Tara Tari. "Courage petit bateau, je sais que ces vagues ne sont pas agréables pour toi".
Samedi soir, surprise-party des vagues. On ne m'a pas dit, désolée. je ne voulais pas m'incruster à votre boum. Les vagues sont super courtes et super hautes. De vrais jeysers! Long de neuf mètres, Tara Tari tient plutôt bien. Genre Edgar Grospiron, version "mer", sauf qu'à la différence d'Edgar, Tara Tari ne peut pas plier les genoux sur ce champs de bosses. L'étrave se lève haut et retombe sur une nouvelle vague qui relève l'avant alors que l'arrière n'est pas encore redescendu de la vague précédente. Compliqué à expliquer, mais c'est un peu le bazar tout ça. Sans parler des vagues parasites qui claquent le côté du bateau juste pour nous en mettre plein la figure. une heure, deux heures.. le rythme est soutenu. Je suis très concentrée à la barre et éclaire régulièrement le gréement histoire d'identifier un éventuel début d'avarie. Tout à l'air de bien tenir. Un point sur la carte. Il est 3 heures du matin, j'ai déjà parcouru 40 milles. Belle perf. Mais le vent souffle de plus en plus fort et les vagues sont de plus en plus hautes. ça déferle et je n'aime pas vraiment ça. "Personne ne vous a traité de vaguelettes, ça suffit les bêtises, laissez nous tranquilles maintenant".
2011, Tara Tari devient le premier voilier de pêche champion du monde des vagues. Hommage.
Une vague est dite déferlante lorsque l'onde de force transportée par la houle se transforme en rouleau, ce que l'on repère bien même la nuit car il y a de l'écume sur la crête de la vague, et elle fait un gros buit. Comment décrire le bruit d'une déferlante. Ah je sais. Il faut prendre de vieilles feuilles de papier, format A4 ok, comme par exemple celles qui se situent dans le petit carton poubelle à côté de la photocopieuse, ou dans la poubelle à côté de l'imprimante - il y a toujours plein de feuilles abandonnées, imprimées en trop à côté des photocopieuses. Et maintenant il faut déchirer ces feuilles, les unes après les autres. il faut les déchirer franchement, sans timidité. Et bien, ça fait à peu près ça comme bruit, une déferlante. Les décibels et l'eau dans la figure en plus.
Il n'y a pas de hauts fonds là où je suis, cette nuit les vagues déferlent à cause du vent violent, et cela signifie sur l'échelle de Beaufort, que l'on se situe au dessus de 6. Je me prends des tonnes d'eau dans la figure. J'avais déjà entendu parler par des marins de cette image de "lance d'incendie" utlisée par les pompiers pour éteindre un feu, pour décrire des paquets d'eau qu'on se prend parfois en mer. Je crois que là, c'est bon, je visualise bien le truc de la lance d'incendie. On peut arrêter la démo, merci.
Et soudain, bam! encore une saleté de grosse vague qui frappe la coque. "C'était quoi ce bruit?!" Je bondis. La tête dans la descente, j'éclaire l'intérieur du bateau avec ma frontale. Le quart de seconde qu'il me faut pour allumer ma petite lampe et me pencher dans le bateau me semble interminable. Sous la puissance de la vague, un des gilets de sauvetage qui se trouvait sur la couchette s'est percuté tout seul. Le gilet - confié par l'association Watever - est gonflé mais je souffle quand même de soulagement "bouhh, j'ai eu peur que ta coque se soit percée petit TaraTari, mais tu es fort! tiens bon!" Toute la nuit sur le pont, je me rends compte que c'est aussi une peu la guerre civile dans le bateau. Il y a de l'eau, et quelques objets ont volé comme des bouteilles d'eau et les jumelles, et aussi un sac d'avitaillement que j'avais oublié de nouer au vent. Je vide régulièrement l'eau mais ma priorité est de rester bien accrochée à la barre, pour gérer au mieux le franchissement des vagues qui ne cessent de déferler.
Avec tout ça, nous avançons malgré tout à vive allure. Je regarde régulièrement le gps portable que je range dans la poche de mon ciré. 6,8 noeuds puis une pointe à 7 noeuds! Record battu pour le bateau! "Trop fort Tara Tari, et en plus au près!" Bon mais entre les vagues, le gilet de sauvetage qui se percute tout seul et les nouveaux records de vitesse, tout cela me semble un peu exagéré. On va peut-être calmer le jeu.
Un nouveau point sur la carte, me voilà en approche de Vilanova i La Geltru, au nord de Tarragone. "Vilanova i Geltru" drôle de nom. Je n'aimerais pas habiter là. En fait, je suis un peu fâchée avec Vilanova i La Geltru. Il y a devant ce port, une ferme pisicole. Une ferme piscicole. Je l'avais vu sur la carte, mais quand même. Un immense parc de poissons me bloque donc la route. La nuit, l'immense "ferme" est indiquée par des feux, mais c'est nul, car je dois la contourner par le large, et ça, çe ne me tente pas du tout : au large, le ciel est encore plus noir, il y a trois bateaux de pêche, et pour y aller, ça veut dire que je prends les vagues complètement de côté. "Quelle idée de mettre une ferme dans la mer?!" Les fermes, c'est pour les poules et les cochons, et ça se passe dans la campagne "tu ne trouves pas TaraTari? C'est du grand n'importe quoi cette histoire".
Bon. Il est évident que je n'ai pas très envie d'aller naviguer 2 ou 3 milles au large de ma position pour contourner la ferme et en même temps, je ne vais pas chercher à couper au milieu. bien que la perspective de devenir une grande libératrice de poissons en captivité soit tentante, je doute que cela n'amuse beaucoup les fermiers de Vilanova i la Geltru. quel nom bizarre franchement. Reste l'option de passer par la côte. Mais je ne suis pas convaincue: vagues de côté etc. Bof. En fait, à partir du moment où je décide de ne pas aller plus au large, je me dis que c'est assez idiot de continuer vers le Sud alors que le vent et les vagues ne se calment pas et que tout cela vient du secteur sud sud ouest justement. Cette ferme me barre la route, et est peut-être un signe. Quoi qu'il en soit. Il est 5h17, il fait encore nuit et je décide de faire demi tour. Si ça craint au Sud, alors je remonte vers le Nord. Je note ma décision sur le livre de bord du bateau.
Ce n'est pas agréable de faire demi-tour. Mais c'est très clair dans ma tête; je ne suis pas là pour me mettre en danger ni pour abîmer le bateau. vendredi soir Tanguy m'a dit "il y a de l'instabilité et des orages, tu devras te fier à ton sens marin pour prendre les bonnes décisions" et là, mon petit sens marin me dit qu'il vaut mieux se mettre à l'abri. Il y a quelques ports sur la côtes. Mais je sais aussi qu'il y a un gros coup de vent dans deux jours, alors autant remonter jusqu'à Barcelone et attendre là-bas, une meilleure fenêtre météo. Je connais bien Barcelone, rentrer me semble être le meilleur choix. A 8h du matin, le jour est de retour, j'ai déjà bien avancé et je fais cap au Nord, au 0° tout rond.
J'appelle mon frère: "je vais bien, mais je rentre vers Barcelone. là je suis au niveau des collines du pratt. ça souffle encore fort, je préfère donc que l'on sache où je suis et quelles sont mes intentions de navigation". Il prend note et prévient le port. J'envoie aussi un message à Anna (Corbella) pour la prévenir aussi de ma position et intention de navigation. Le vent souffle toujours très fort, c'est un peu pénible. Mais je suis au portant maintenant, et aussi poussée par les vagues, donc c'est un peu plus confortable qu'au près.
"Navigation très calme" m'avaient annoncé les routeurs. Mouai. Je ne dirais pas "très calme". Mais bon, c'est comme ça. C'est la Méditerranée. On le sait. La réalité n'a pas toujours, voire rarement, rapport avec ce qu'annonçaient les fichiers. Les phénomènes météo se créent rapidement. Les nuages noirs que je voyais en étaient un signe. Surprise, suprise, voici la tempête. T'as pas le temps de partir, et bien tant pis, tu fais avec! "Salut Gérald! C'est Capucine. La nuit a été un peu plus rock'n'roll que prévu" je lui décris les conditions de la nuit "est-ce que tu vois quelque chose ce matin, j'aimerais rentrer à Barcelone, mais ça ne se calme pas vraiment là". Il n'en revient pas. "Il y a un BMS annoncé plus sud, tu as dû te le prendre... les fichiers n'indiquaient pas ça du tout, rentre vite à Barcelone car il y a une grosse cartouche mardi. Tiens moi au courant. Je vais voir avec Christian (Dumard) et Marcel (van Triest) et on refait un point quand tu seras au chaud." me dit Gérald avant de finir par un "Fais gaffe à ta peau".
Le vent est fort, et ne me laisse pas beaucoup de répit, mais pour le moment ça va. Je suis contente que le jour revienne. A part pendant la demi seconde où j'ai entendu le bruit du gilet qui s'est ouvert à l'intérieur du bateau, je n'ai pas eu trop le temps d'avoir peur. En fait, dans une situation un peu tendue, il faut tout anticiper encore plus que quand tout va bien, et il faut être 'dessus' tout le temps, pas le temps d'avoir peur ou d'être inquiète, il me fallait bien agir et prendre les bonnes décisions. Je vide une dizaine de sceaux d'eau du bateau qui est désormais sec et un peu mieux rangé. Le pilote tient la barre, mais je barre autant que possible pour préserver les batteries. L'écoute du foc se libère du taquet, pas de temps à perdre, je m'approche de la dérive, pour récupérer le bout au niveau de la poulie. Pour plus de stabilité, je suis allongée sur le pont, récupérer l'écoute sous le vent n'est pas pratique, mais bon on s'adapte. A bord, je suis toujours attachée, la longe est reliée à la ligne de vie. Lors d'un déplacement de contrôle, j'ai oublié que j'étais accrochée et j'ai failli me casser la figure en voulant aller à l'avant du bateau, car la longe passe sous la dérive et se bloque au niveau du support de dérive, un auto croche patte, ça aurait été rigolo ça aussi. Cette longe est top, mais il faut toujours bien se placer car on a vite fait de s'emmêler les jambes dedans pendant les manoeuvres. Tout cela me réchauffe un peu mais je suis trempée, ce serait tout même sympa, si le vent se calmait un peu.
Un peu.. et bien non, beaucoup. Le vent tombe d'un seul coup et à 10h je relâche le ris. "quand on dit tout ou rien, tu ne fais pas semblant, chère Med!". Le soleil me réchauffe un peu, ce qui fait du bien. Je branche le pilote et m'installe tout à l'arrière, je m'endors tout en restant en veille, bercée par la houle qui pousse le bateau. Quelques minutes de sommeil qui me font du bien, une bonne petite sieste réparatrice. Un peu de pain et un carré de chocolat, je n'ai pas très faim, mais un peu de sucre ne me fera pas de mal.
A 12h30, je reçois un appel de Paris. Au bout du fil, Olivier Avram, président de la classe mini me pose quelques questions, pour une vacation en direct du salon nautique de Paris. ça me fait plaisir de l'entendre et de parler de mini. Peu avant mon départ, on m'a proposé d'être "marraine" de l'édition 2012 de la course Les Sables Les Açores Les Sables, du circuit mini6.50. - Article à lire ici - et j'ai accepté avec plaisir.
Ce petit coup de fil m'a fait penser au salon. ça fait exactement un an que j'ai rencontré TaraTari, un an aussi que l'on a pris un petit café avec Corentin en parlant de cette idée de "poursuivre l'aventure". Et voilà, aujourd'hui, je suis à bord du bateau, en route pour dessiner un sourire sur l'Atlantique! Je suis super contente. Du coup, pour fêter ça je ressors l'harmonica, et joue un petit air complètement inventé, qui ne ressemble à rien, mais super joyeux quand même!
Il est 13h, et le vent tourne, et après cette petite pause de trois heures, il se regonfle et souffle tout ce qu'il peut. Il doit vraiment avoir mal aux joues, à souffler comme ça. Et peut-être même mal à la tête. c'est l'effet Barbecue. Quand on souffle fort sur les braises, on a toujours la tête qui tourne, ça doit être pareil pour le vent. Un coup Sud, un coup Nord. ça tourne.
Allez, je remets ma veste encore trempée et reprends un ris dans la gv. C'est notre tenue de combat. Et Tara Tari file, surfe sur la houle qui nous pousse vers Barcelone. C'est excellent! Je prends vraiment du plaisir. Belles sensations de glisse, bien que cela soit un peu sportif. Il est 16h et je rentre enfin à Barcelone. Une heure de virements de bords dans le port plus tard, je passe le pont du Port Vell à 17h.
24h en mer.. pendant lesquelles j'ai fait la connaissance d'un "phénomène" que j'ai appelé "Baston Labaffe". Parce que dans le jargon des marins une tempête se dit "baston" et que je me suis pris autant de baffes que de coups de poings par les vagues que si j'étais allée chercher des ennuis auprès d'une bande de loubards. - Et je sais ce que je dis en parlant de loubards, j'en suis, j'ai une arcade sourcilière en pleine cicatrisation pour le prouver. Enfin pour en revenir à notre ami Baston, il est aussi huluberlu que le personnage de bd qui s'appelle Gaston, tout aussi inconscient qui lui, des conséquences de ses actes pour son entourage. Baston Labaffe est lui aussi un éléctron libre qui n'en fait qu'à sa tête, qui est intelligent et invente toujours de nouvelles astuces qui surprennent tout le monde. Baston Labaffe vit en Méditerranée et ne prévient jamais avant d'intervenir pour chambouler vos plans. Sociable, il n'oublie jamais de saluer toute personne croisée sur son passage. Point faible de son caractère, il postillonne. Le mieux est donc de rester un peu à l'écart.
Du coup après ces 24h de rodéo, je suis de retour à Barcelone! En attente d'une fenêtre plus douce pour descendre vers Alicante. Tant pis pour le retour au port, je suis contente d'avoir pris cette décision et contente de voir que Tara Tari n'a finalement pas trop souffert lors de cette rencontre avec Baston Labaffe. J'ai pu ramener le bateau et le 'bonhomme' au port, et tout le monde va bien, c'est le principal. Quand ça ne passe pas, ça ne passe pas. Il faut savoir être patient, c'est aussi ça la vie en mer.
Mon frère m'a préparé un bon repas, bien chaud, et j'ai dormi 13h dans un bon lit, bien au chaud.
Le bonheur.
Capucine
départ de Barcelone, samedi 3 décembre. |
Le chemin vers Alicante est long, alors j'entre d'abord dans mon gps, Valence comme premier 'waypoint' d'arrivée, qui se situe à 163 milles nautiques de Barcelone.
Il y a environ dix noeuds de vent quand je quitte la capitale catalane et Tara Tari progresse à une vitesse stable de 4 noeuds. La mer, plate, rend la navigation bien agréable. Nous - TaraTari & moi - traversons le parking nautique des cargos. Ces gros bateaux m'impressionnent, je les regarde un moment. Bien contente qu'ils soient à l'arrêt.
Tara Tari, dès qu'on en voit un comme ça, en mer, on l'évite, ok? |
Une amie qui navigue, Sandrine Bertho, m'a dit un jour qu'en mer en solitaire, il ne faut pas attendre d'être fatiguée pour aller dormir, comme ça "on ne se met pas dans le rouge" comme disent les marins. Alors j'observe bien l'horizon à 360°, vérifie que le pilote tient bien le cap demandé et branche le Mer Veille - offert par Ciel et Marine. Tout est ok et je m'allonge sur la couchette - mousses bien confortables, d'origine et signées Jeremy Bertaud - pour me reposer 20 minutes. Le Mer Veille est un petit instrument super pratique qui détecte les cargos et autres bateaux; dès qu'il reçoit un signal radar, une alarme se déclenche et un petit voyant lumineux m'indique si le navire approchant est dans le quart avant ou arrière, tribord ou babord de Tara Tari. Un précieux outil!
L'antenne du Mer Veille montée sur une béquille d'Olivier Blin |
L'alarme sonne. Ces 20 minutes m'ont fait du bien. Je fais chauffer de l'eau. Au menu, ce soir, un petit plat de nouilles chinoises. Un classique à bord. Trop bon. Tout se passe bien pour cette première soirée avec Tara Tari. La nuit tombe, j'allume les feux de mât et me prépare: bonnet, lampe frontale vissée sur la tête, lampe étanche à portée de main. C'est bon la nuit, tu peux venir, nous sommes prêts.
D'après les fichiers, la nuit devait se passer relativement calmement, avec 13 - 15 noeuds de vent, et demain matin, dimanche, le vent devait tomber à 8, voire moins. Mais c'est une autre histoire qui démarre. La nuit est maintenant bien sombre et le vent tourne. J'observe ce qui m'entoure. Au dessus de ma tête la lune est brumeuse, les étoiles cachées par quelques nuages et le ciel bien noir tout au fond, au Sud... là où je vais. La mer se creuse. Bon. Tout cela m'indique que la nuit va certainement être plus sportive que je ne le pensais. A l'intérieur, je vérifie rapidement que tout est bien arrimé et puis je ressors, éclaire le mât, les barres de flèches (feu mes béquilles), les haubans, l'étai et le pataras, les cales en bois des dérives bref, un peu tout. Le vent souffle de plus en plus fort. Sud Sud Ouest, je l'ai en pleine figure. Le bateau est de plus en plus sur la tranche, je prends un ris. Bien calée au vent, je tiens bon la barre de Tara Tari. "Courage petit bateau, je sais que ces vagues ne sont pas agréables pour toi".
Samedi soir, surprise-party des vagues. On ne m'a pas dit, désolée. je ne voulais pas m'incruster à votre boum. Les vagues sont super courtes et super hautes. De vrais jeysers! Long de neuf mètres, Tara Tari tient plutôt bien. Genre Edgar Grospiron, version "mer", sauf qu'à la différence d'Edgar, Tara Tari ne peut pas plier les genoux sur ce champs de bosses. L'étrave se lève haut et retombe sur une nouvelle vague qui relève l'avant alors que l'arrière n'est pas encore redescendu de la vague précédente. Compliqué à expliquer, mais c'est un peu le bazar tout ça. Sans parler des vagues parasites qui claquent le côté du bateau juste pour nous en mettre plein la figure. une heure, deux heures.. le rythme est soutenu. Je suis très concentrée à la barre et éclaire régulièrement le gréement histoire d'identifier un éventuel début d'avarie. Tout à l'air de bien tenir. Un point sur la carte. Il est 3 heures du matin, j'ai déjà parcouru 40 milles. Belle perf. Mais le vent souffle de plus en plus fort et les vagues sont de plus en plus hautes. ça déferle et je n'aime pas vraiment ça. "Personne ne vous a traité de vaguelettes, ça suffit les bêtises, laissez nous tranquilles maintenant".
1992, Edgar Grospiron devient le 1er champion olympique des bosses. |
Une vague est dite déferlante lorsque l'onde de force transportée par la houle se transforme en rouleau, ce que l'on repère bien même la nuit car il y a de l'écume sur la crête de la vague, et elle fait un gros buit. Comment décrire le bruit d'une déferlante. Ah je sais. Il faut prendre de vieilles feuilles de papier, format A4 ok, comme par exemple celles qui se situent dans le petit carton poubelle à côté de la photocopieuse, ou dans la poubelle à côté de l'imprimante - il y a toujours plein de feuilles abandonnées, imprimées en trop à côté des photocopieuses. Et maintenant il faut déchirer ces feuilles, les unes après les autres. il faut les déchirer franchement, sans timidité. Et bien, ça fait à peu près ça comme bruit, une déferlante. Les décibels et l'eau dans la figure en plus.
Il n'y a pas de hauts fonds là où je suis, cette nuit les vagues déferlent à cause du vent violent, et cela signifie sur l'échelle de Beaufort, que l'on se situe au dessus de 6. Je me prends des tonnes d'eau dans la figure. J'avais déjà entendu parler par des marins de cette image de "lance d'incendie" utlisée par les pompiers pour éteindre un feu, pour décrire des paquets d'eau qu'on se prend parfois en mer. Je crois que là, c'est bon, je visualise bien le truc de la lance d'incendie. On peut arrêter la démo, merci.
en avant les histoires, ok. mais attention: TaraTari n'a pas 4 ans. |
Et soudain, bam! encore une saleté de grosse vague qui frappe la coque. "C'était quoi ce bruit?!" Je bondis. La tête dans la descente, j'éclaire l'intérieur du bateau avec ma frontale. Le quart de seconde qu'il me faut pour allumer ma petite lampe et me pencher dans le bateau me semble interminable. Sous la puissance de la vague, un des gilets de sauvetage qui se trouvait sur la couchette s'est percuté tout seul. Le gilet - confié par l'association Watever - est gonflé mais je souffle quand même de soulagement "bouhh, j'ai eu peur que ta coque se soit percée petit TaraTari, mais tu es fort! tiens bon!" Toute la nuit sur le pont, je me rends compte que c'est aussi une peu la guerre civile dans le bateau. Il y a de l'eau, et quelques objets ont volé comme des bouteilles d'eau et les jumelles, et aussi un sac d'avitaillement que j'avais oublié de nouer au vent. Je vide régulièrement l'eau mais ma priorité est de rester bien accrochée à la barre, pour gérer au mieux le franchissement des vagues qui ne cessent de déferler.
aménagement intérieur à 4h du matin. sans trucage ni photoshop. |
Un nouveau point sur la carte, me voilà en approche de Vilanova i La Geltru, au nord de Tarragone. "Vilanova i Geltru" drôle de nom. Je n'aimerais pas habiter là. En fait, je suis un peu fâchée avec Vilanova i La Geltru. Il y a devant ce port, une ferme pisicole. Une ferme piscicole. Je l'avais vu sur la carte, mais quand même. Un immense parc de poissons me bloque donc la route. La nuit, l'immense "ferme" est indiquée par des feux, mais c'est nul, car je dois la contourner par le large, et ça, çe ne me tente pas du tout : au large, le ciel est encore plus noir, il y a trois bateaux de pêche, et pour y aller, ça veut dire que je prends les vagues complètement de côté. "Quelle idée de mettre une ferme dans la mer?!" Les fermes, c'est pour les poules et les cochons, et ça se passe dans la campagne "tu ne trouves pas TaraTari? C'est du grand n'importe quoi cette histoire".
voilà à quoi ressemble de jour une petite ferme de poissons, en pleine mer. |
Ce n'est pas agréable de faire demi-tour. Mais c'est très clair dans ma tête; je ne suis pas là pour me mettre en danger ni pour abîmer le bateau. vendredi soir Tanguy m'a dit "il y a de l'instabilité et des orages, tu devras te fier à ton sens marin pour prendre les bonnes décisions" et là, mon petit sens marin me dit qu'il vaut mieux se mettre à l'abri. Il y a quelques ports sur la côtes. Mais je sais aussi qu'il y a un gros coup de vent dans deux jours, alors autant remonter jusqu'à Barcelone et attendre là-bas, une meilleure fenêtre météo. Je connais bien Barcelone, rentrer me semble être le meilleur choix. A 8h du matin, le jour est de retour, j'ai déjà bien avancé et je fais cap au Nord, au 0° tout rond.
J'appelle mon frère: "je vais bien, mais je rentre vers Barcelone. là je suis au niveau des collines du pratt. ça souffle encore fort, je préfère donc que l'on sache où je suis et quelles sont mes intentions de navigation". Il prend note et prévient le port. J'envoie aussi un message à Anna (Corbella) pour la prévenir aussi de ma position et intention de navigation. Le vent souffle toujours très fort, c'est un peu pénible. Mais je suis au portant maintenant, et aussi poussée par les vagues, donc c'est un peu plus confortable qu'au près.
"Navigation très calme" m'avaient annoncé les routeurs. Mouai. Je ne dirais pas "très calme". Mais bon, c'est comme ça. C'est la Méditerranée. On le sait. La réalité n'a pas toujours, voire rarement, rapport avec ce qu'annonçaient les fichiers. Les phénomènes météo se créent rapidement. Les nuages noirs que je voyais en étaient un signe. Surprise, suprise, voici la tempête. T'as pas le temps de partir, et bien tant pis, tu fais avec! "Salut Gérald! C'est Capucine. La nuit a été un peu plus rock'n'roll que prévu" je lui décris les conditions de la nuit "est-ce que tu vois quelque chose ce matin, j'aimerais rentrer à Barcelone, mais ça ne se calme pas vraiment là". Il n'en revient pas. "Il y a un BMS annoncé plus sud, tu as dû te le prendre... les fichiers n'indiquaient pas ça du tout, rentre vite à Barcelone car il y a une grosse cartouche mardi. Tiens moi au courant. Je vais voir avec Christian (Dumard) et Marcel (van Triest) et on refait un point quand tu seras au chaud." me dit Gérald avant de finir par un "Fais gaffe à ta peau".
Le vent est fort, et ne me laisse pas beaucoup de répit, mais pour le moment ça va. Je suis contente que le jour revienne. A part pendant la demi seconde où j'ai entendu le bruit du gilet qui s'est ouvert à l'intérieur du bateau, je n'ai pas eu trop le temps d'avoir peur. En fait, dans une situation un peu tendue, il faut tout anticiper encore plus que quand tout va bien, et il faut être 'dessus' tout le temps, pas le temps d'avoir peur ou d'être inquiète, il me fallait bien agir et prendre les bonnes décisions. Je vide une dizaine de sceaux d'eau du bateau qui est désormais sec et un peu mieux rangé. Le pilote tient la barre, mais je barre autant que possible pour préserver les batteries. L'écoute du foc se libère du taquet, pas de temps à perdre, je m'approche de la dérive, pour récupérer le bout au niveau de la poulie. Pour plus de stabilité, je suis allongée sur le pont, récupérer l'écoute sous le vent n'est pas pratique, mais bon on s'adapte. A bord, je suis toujours attachée, la longe est reliée à la ligne de vie. Lors d'un déplacement de contrôle, j'ai oublié que j'étais accrochée et j'ai failli me casser la figure en voulant aller à l'avant du bateau, car la longe passe sous la dérive et se bloque au niveau du support de dérive, un auto croche patte, ça aurait été rigolo ça aussi. Cette longe est top, mais il faut toujours bien se placer car on a vite fait de s'emmêler les jambes dedans pendant les manoeuvres. Tout cela me réchauffe un peu mais je suis trempée, ce serait tout même sympa, si le vent se calmait un peu.
Un peu.. et bien non, beaucoup. Le vent tombe d'un seul coup et à 10h je relâche le ris. "quand on dit tout ou rien, tu ne fais pas semblant, chère Med!". Le soleil me réchauffe un peu, ce qui fait du bien. Je branche le pilote et m'installe tout à l'arrière, je m'endors tout en restant en veille, bercée par la houle qui pousse le bateau. Quelques minutes de sommeil qui me font du bien, une bonne petite sieste réparatrice. Un peu de pain et un carré de chocolat, je n'ai pas très faim, mais un peu de sucre ne me fera pas de mal.
A 12h30, je reçois un appel de Paris. Au bout du fil, Olivier Avram, président de la classe mini me pose quelques questions, pour une vacation en direct du salon nautique de Paris. ça me fait plaisir de l'entendre et de parler de mini. Peu avant mon départ, on m'a proposé d'être "marraine" de l'édition 2012 de la course Les Sables Les Açores Les Sables, du circuit mini6.50. - Article à lire ici - et j'ai accepté avec plaisir.
Ce petit coup de fil m'a fait penser au salon. ça fait exactement un an que j'ai rencontré TaraTari, un an aussi que l'on a pris un petit café avec Corentin en parlant de cette idée de "poursuivre l'aventure". Et voilà, aujourd'hui, je suis à bord du bateau, en route pour dessiner un sourire sur l'Atlantique! Je suis super contente. Du coup, pour fêter ça je ressors l'harmonica, et joue un petit air complètement inventé, qui ne ressemble à rien, mais super joyeux quand même!
Il est 13h, et le vent tourne, et après cette petite pause de trois heures, il se regonfle et souffle tout ce qu'il peut. Il doit vraiment avoir mal aux joues, à souffler comme ça. Et peut-être même mal à la tête. c'est l'effet Barbecue. Quand on souffle fort sur les braises, on a toujours la tête qui tourne, ça doit être pareil pour le vent. Un coup Sud, un coup Nord. ça tourne.
toute ressemblance avec un playmobil... |
24h en mer.. pendant lesquelles j'ai fait la connaissance d'un "phénomène" que j'ai appelé "Baston Labaffe". Parce que dans le jargon des marins une tempête se dit "baston" et que je me suis pris autant de baffes que de coups de poings par les vagues que si j'étais allée chercher des ennuis auprès d'une bande de loubards. - Et je sais ce que je dis en parlant de loubards, j'en suis, j'ai une arcade sourcilière en pleine cicatrisation pour le prouver. Enfin pour en revenir à notre ami Baston, il est aussi huluberlu que le personnage de bd qui s'appelle Gaston, tout aussi inconscient qui lui, des conséquences de ses actes pour son entourage. Baston Labaffe est lui aussi un éléctron libre qui n'en fait qu'à sa tête, qui est intelligent et invente toujours de nouvelles astuces qui surprennent tout le monde. Baston Labaffe vit en Méditerranée et ne prévient jamais avant d'intervenir pour chambouler vos plans. Sociable, il n'oublie jamais de saluer toute personne croisée sur son passage. Point faible de son caractère, il postillonne. Le mieux est donc de rester un peu à l'écart.
Du coup après ces 24h de rodéo, je suis de retour à Barcelone! En attente d'une fenêtre plus douce pour descendre vers Alicante. Tant pis pour le retour au port, je suis contente d'avoir pris cette décision et contente de voir que Tara Tari n'a finalement pas trop souffert lors de cette rencontre avec Baston Labaffe. J'ai pu ramener le bateau et le 'bonhomme' au port, et tout le monde va bien, c'est le principal. Quand ça ne passe pas, ça ne passe pas. Il faut savoir être patient, c'est aussi ça la vie en mer.
Mon frère m'a préparé un bon repas, bien chaud, et j'ai dormi 13h dans un bon lit, bien au chaud.
Le bonheur.
Capucine