Ce matin, il faut encore bricoler un peu. Petit tour au chantier afin de préparer les "nouvelles" barres de flèche. La journée commence donc bien car je prends un malin plaisir à scier et adapter mes béquilles à leur nouvelle fonction et cette petite revanche m'amuse.
Les béquilles de flèche sont à poste. Nous hissons les voiles et quittons la base des sous-marins. Cap vers l'île de Groix.
Petite île (8km de long - 3km de large) encore assez sauvage, Groix a été le 1er port français d'armement au thon blanc pendant 70 ans, entre 1870 et 1940. A l'époque, il y avait de grandes conserveries puisque 300 thoniers (soit 3/4 de la flotille française en 1914) débarquaient leur pêche sur l'île. Les guerres ont fait fermer les cinq conserveries et depuis, les marins groisillons embarquent sur des bateaux lorientais.
Le vent est bon, et Tara Tari heureux de naviguer. Tout se passe bien, nous progressons par la passe Ouest et je suis bien contente de ces premiers bords à la barre. Nous sommes à hauteur des courreaux de Groix, quand Corentin me demande de lui passer un gros bout rouge. A l'intérieur du bateau, je le vois prendre un bidon d'eau de 20l vide et nouer autour de la poignée le bout encore lové. Mais que fait-il? Pas vraiment le temps de lui poser la question. Il sort la tête du bateau, jette le bidon et crie "Un homme à la mer!". Nous sourions. Oulala! Interro' surprise! Pas de panique. "Tiens bon, le bidon, j'arrive!" Et hop je manoeuvre et récupère le bidon et le bout qui - ouf- n'avait pas eu le temps de se noyer.
Le bidon à bord, je demande à Corentin de barrer, le temps d'aller dire aux autres de bidons de bien se tenir afin d'éviter, à l'avenir, un tel incident.
Nous reprenons notre cap.
Tara Tari est une bête de près. Enfin presque. Bien lancé et bien réglé, le bateau avance tout seul. La navigation est vraiment agréable. Nous avons une bonne vitesse. Et alors que nous profitons en terrasse (située à avant du bateau) nous nous amusons de voir Tara Tari se débrouiller tout seul.
L'entrée du port est relativement étroite et nous arrivons à la voile. Corentin est à l'avant, barre, et je m'occupe des écoutes depuis le cockpit. La manoeuvre se passe bien et en quelques minutes, nous sommes amarrés. Quelques plaisanciers viennent nous accueillir, saluent Tara Tari qu'ils reconnaissent.
Tara Tari à Groix, le 17 Octobre 2011. |
Bateaux de pêches et de plaisance restent amarrés à Port Tudy. Ce petit port est vraiment joli. Et puis c'est sympa pour Tara Tari voilier de pêche du Bangladesh, de rencontrer de lointains cousins, caseyeurs à Groix. Des petits bateaux beaux comme des jouets en bois.
Les voiles sont affalées et nous rangeons le bateau, ouvrons une bouteille de cidre et grignotons quelques amandes. Nous sommes là pour fêter "ça" alors assez vite nous allons à quai, remontons la rue. Ti Beudeff, nous voilà.
Ti Beudeff est un bistrot mythique crée en 1972 par Alain Stephant dit Beudeff. Depuis 2007, c'est sa fille Morgann qui a repris le flambeau. L'endroit a gardé son âme. Lieu de rencontre entre les équipages des bateaux de passage, il faut généralement relire son répertoire de chants marins avant de venir. La bière, les chants et la convivialité... Ti Beudeff était l'endroit parfait pour venir fêter dignement l'aventure. Ti Beudeff, un lundi soir d'Octobre, c'est encore autre chose. De plus confidentiel peut-être. Mais finalement, pour les solitaires que nous sommes, être là, dans ce bistrot presque vide, sur une petite île peu habitée, c'est parfait. Sur le comptoir, une affiche "Fête de la soupe insulaire". Nous prendrons deux bières.
Un verre, deux verres et nous prenons le couteau du bateau pour graver dans le bois de Ti Beudeff, les lettres de notre passage. Tara Tari, quatre lettres chacun, et un petit verre de rhum.
Et puis il y a eu cette rencontre avec un Groisillon, peintre de maisons. Il nous donne son avis, pense que vivre sur une île est une planque, que la réalité de la vie, c'est de prendre le RER et de vivre dans des boîtes de sardines en banlieue parisienne, mais qu'il n'en a pas le courage. Nous, on se dit qu'il a bien fait de s'installer ici. Il y a plus de hauteur sous plafond dans une boîte de thon. Sur cette île encore épargnée du toursime de masse, quelques hommes et femmes vivent en tentant de protéger leur terre et une qualité de vie un peu plus rude, mais plus pure que sur le continent. En vivant sur l'île, il fait le choix de sortir du troupeau. Il faut des personnes qui sortent du troupeau. Il faut des mains libres pour ouvrir les conserves. Nous allons tous les trois au bateau et lui présentons Tara Tari. "Vous êtes fous" nous dit-il en repartant, "mais je me souviendrai de notre discussion les amis, bonne nuit!"
La nuit est froide et le vent s'est levé. Nous nous réveillons tôt. Il est 7h du matin et alors que nous prenons un ris pour anticiper la brise, d'autres plaisanciers viennent nous saluer. Tara Tari est une petite star, tout le monde le reconnaît. Une chance qu'un voilier ne signe pas encore d'autographe, ça n'en finirait plus. Pieds nus sur la jetée, nous observons la mer en croquant un carré de chocolat. L'air frais sent bon. Passage à la capitainerie: "Longueur du bateau s'il vous plaît?" "9 mètres... mais seulement 6,50 à la flotaison", "Ah? c'est le petit bateau en forme de banane, là?", "oui, c'est ça", "drôle de bateau... je vais faire un petit geste". Ticket allégé: "Merci monsieur! Bonne journée!".
Nous quittons Port Tudy dans la brise. Le bateau est vraiment agréable à barrer et nous prenons encore beaucoup de plaisir dans ce retour express vers Lorient. 1h30 seulement pour traverser, de quoi faire rougir le gros courrier blanc de Groix.
Tara Tari file vite et bien.
"Qui voit Groix, voit sa joie".
L'adage dit vrai.
kenavo,
Capucine