La fumée de cheminées industrielles de ce grand port de commerce anime un peu la nuit, danse avec le vent. Des cargos à quai et des grues immenses, la lumière jaune des réverbères immobiles, la brume de l'humidité ambiante, et le silence d'Algeciras. Voilà pour l'ambiance. De l'autre côté de la baie de Gibraltar, à 40 minutes de bus de Tara Tari, Corentin et moi sommes là, assis dans la nuit, sur les blocs de béton de la jetée. Un peu d'un thé pas très bon que mon thermos fatigué a tenté de garder tiède. Devant les ferries endormis qui font la liaison vers le Maroc et quelques camions à l'arrêt, nous passons un bon moment à bavarder et à rire. Comme si nous nous étions vus la veille. La veille était pourtant il y a cinq mois. Retrouvailles en simplicité.
Gare maritime d'Algeciras |
La benne conteneur posée près de la jetée pourrait faire l'affaire mais, un peu trop exposée aux vents, nous préférons partir en repérage d'un autre spot pour les quelques heures de nuit qu'il reste avant le départ du bus. A l'étage du grand parking en béton de la gare maritime, nous trouvons alors notre chambre à ciel ouvert. Un peu à l'abri du vent entre le muret et le pare-choc avant d'une voiture, discrètement allongés sur l'étroit trottoir, la tête sur le sac à dos, nous devrions pouvoir nous reposer un peu. Sommier d'asphalte certes un peu frais et sale, mais dur et donc bon pour le dos.
Dans ce grand parking un peu trop grand, un peu trop vide, un peu trop glauque, un bruit de pas semble s'approcher un peu trop près. On se regarde en silence avec ce regard qui dit d'un commun accord "pas de bruit, il ne faut pas que l'on nous voit". Sous les voitures, nous apercevons des chaussures noires venir vers nous. Une ombre est accrochée aux semelles. Les pas raisonnent. Exactement comme dans les films, quand le gentil est caché derrière une voiture et que le méchant s'approche. Immobiles, nous avons même arrêté de respirer. Les pas s'arrêtent eux-aussi, marquent une petite pause. La petite pause de transition entre l'hésitation et la prise de décision. Le gardien de sécurité tourne ses talons et repart.
- "Tu crois qu'il nous a vus?"
- "Oui, je crois"
Nous murmurons notre soulagement.
Côté pare-choc. Celui d'une Audi; grand luxe. Elle a dû rouler pas mal: j'ai compté 38 moucherons collés sur la plaque d'immatriculation avant de m'endormir. Il fait froid mais le sommeil nous emporte. Et nous nous réveillons. Il fait encore nuit mais nous nous affairons gentiment, pensant pouvoir partir prendre le bus. Pas de bol, nous n'avons dormi qu'une heure et demi!
- "Bah alors la nuit, c'est quoi ce travail!? Il faut passer plus vite! ça caille ici!"
Il fait vraiment froid, mais comme le confort de la vie est souvent une question d'organisation, nous effectuons quelques améliorations à notre dérisoire campement. Mieux installés sous le vent du sac, le reste de la nuit peut commencer. Nous regardons les phares de la voiture et réalisons que jamais nous n'avions pris le temps d'en voir de si près. Un phare de voiture, pour la finesse de son design, mériterait plus d'attention.
Le trottoir est si étroit que si l'un de nous bouge, l'autre doit bouger aussi. Et puis bouger, c'est risquer de réduire la superficie du sac de couchage qui nous recouvre. Mieux vaut-il ne pas bouger. Mais j'ai pourtant super envie de bouger. Le vent, malin ou vicieux ou peut-être les deux, passe entre le pare-choc et le trottoir, et me glace le côté gauche du corps. Je ne sais pas si Corentin dort, mais si je bouge, tout bouge, alors je ne bouge pas. Faire abstraction du froid, c'est fatiguant, je m'endors donc. Le problème est devenu ma solution. Nous dormons enfin et nous réveillons bien après le départ du premier bus pour La Linea, surpris par ce repos finalement reposant.
*
Nous avions imaginé le départ.
Forcément, et puisqu'on les rêve, on imagine toujours les départs.
Cela devait être un dimanche de novembre, sur les quais du petit port de La Ciotat.
Corentin sur le quai, et moi sur le bateau.
Et puis ce dimanche de novembre est arrivé. Mais pas comme prévu. Car le vent soufflait trop fort. Corentin dans le train, et moi sur le quai.
C'était un départ.
Un départ différent, dans la foule, le bruit, le froid, le béton et les trains de la gare de Marseille.
Nous avions imaginé les retrouvailles.
Forcément, et puisqu'elles sont rassurantes, on imagine toujours les retrouvailles.
"La prochaine fois que nous nous verrons, ce sera sur une plage de sable blanc". Nous nous étions donné rendez-vous aux Antilles, en avril.
Et le mois d'avril est arrivé. Mais pas comme prévu. Car Tara Tari et moi ne sommes pas encore arrivés aux Antilles. Alors nous nous sommes retrouvés en baie de Gibraltar.
C'était des retrouvailles.
Des retrouvailles différentes, dans la nuit, le vent et la froideur des néons blancs du parking de la gare maritime d'Algeciras.
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Port d'Algeciras |
La première:
L'aventure, quelle qu'elle soit, ne se passe jamais vraiment comme on la prévoit mais si on réfléchit bien, ce n'est pas très grave: ce sont les détails qui changent et non pas l'essentiel. Nous pensions à la chaleur des Antilles, au sable blanc et aux cocotiers et nous avons eu le vent d'Algeciras, le bitume et les réverbères. Mais nous nous sommes retrouver et ça, c'est l'important de l'aventure retrouvailles.
Le décor, les circonstances et le sable blanc font les anecdotes, pas l'histoire.
La deuxième:
On dit qu'il faut apprendre des erreurs des autres. Alors si un jour il vous arrive d'avoir à dormir dans un parking, choisissez le côté du petit muret et non pas celui de la voiture: le courant d'air qui se faufile entre le trottoir et le pare-choc n'est pas très agréable.
Capucine
Très beau texte plein de sensibilité...
RépondreSupprimerétape par étape...Ca ne sera peut-être plus des Audi de luxe aux Canaries, mais ca vaut le coupe d'aller tester!
RépondreSupprimerJe parie que la route sera plus rectiligne qu'en Mediterannée!
Bon vent!