dimanche 29 avril 2012

Doctorat ès DjianDong

La Linea de la Concepcion. avril 2012.

"1- Aspiration, 2- Compression, 3- Explosion, 4- Échappement"
"1- Aspiration, 2- Compression, 3- Explosion, 4- Échappement"
je répète la formule magique encore et encore, soufflant de vagues bruitages,
"1- hhhhhhuufpt, 2- pouhhh, 3- bOUm!, 4- pschchchch'tttt" mimant les 4 temps en faisant des aller-retours avec l'avant bras, comme me l'a montré Corentin.
- "C'est important; vous devez réussir à vous comprendre tous les deux". Coco m'explique patiemment les petits secrets de fonctionnement de DjianDong, tout en préparant l'opération à valves ouvertes qui semble désormais inévitable. Cela fait 5 mois que le petit moteur chinois ne fonctionne pas - plus.


Petit sentiment de culpabilité. Je descends du bateau perché sur un ber, pensant que Coco et DjianDong ont peut-être envie de se retrouver seuls. Tout en dégrippant une clef anglaise toute rouillée, je m'avoue que les moteurs et moi nous ne nous sommes jamais bien entendus: avant de partir, j'ai cramé le moteur d'une tondeuse électrique sans raison valable, et celui de ma petite voiture verte restée en Bretagne m'a lâchée quatre jours avant mon départ. Contrairement à eux -les moteurs- je ne suis pas calée en mécanique. Même si le 100% à la voile à un côté romantique, je dois faire un effort, car les 4 ou 5 noeuds de courant contraire qui m'attendent dans le détroit n'auront eux, et sans DjianDong, absolument rien de romantique.

La clef est dérouillée et je remonte passer l'outil à Coco: "tiens, le bistouri!"
Mais l'opération a déjà commencé: la tête est décapsulée! "Je démonte tout et tu remonteras tout!" me dit-il alors que je prends place dans le bloc opératoire improvisé. "Ok docteur!" je regarde Coco, regarde DjianDong, regarde encore Coco et éclate de rire: Corentin a le nez écorché! Le haut de son nez est même un peu gonflé!
- "Tu diras que je n'ai pas eu mal, hein" dit-il en se marrant un peu mais sans pour autant arrêter de farfouiller dans le cerveau du malade. Un peu vexé que DjianDong s'en prenne à lui, il m'explique "je me suis pris un retour de marteau! Il a du caractère, tu ne t'en es pas beaucoup* occupé, il n'est pas content et me l'a fait comprendre!" (*le "beaucoup" a été utilisé ici par pure diplomatie)
 - "Je t'avais dit qu'il était aussi mauvais qu'une murène! fichu DjianDong! Mes frères m'ont appris quelques bases de Kung-fu, cela serait plus utile que la mécanique!" je regarde Coco et reprends mon sérieux: "Tu veux que je te montre?" :

 - Communiquer avec DjianDong, nouvelle méthode. - 

Pauvre Coco. Il sourit mais je sens bien que je le désespère un peu.
- "Non mais c'est sérieux: il faut que vous arriviez à vous entendre" me répète-t-il encore.


Pièce par pièce, Coco démonte la sale bête qui, en retour, vomit de l'huile de vidange sans gêne ni retenue. On se demande qui va nettoyer a nettoyé. Pfff.

J'observe, essaie de comprendre et m'applique aux petites tâches qui me sont confiées.
Visiblement, le moment est historique dans l'aventure et Corentin immortalise la scène inédite: mes premiers vrais efforts pour prendre soin de la sale bête.


Mais très vite les choses se compliquent. Corentin, qui a apporté du Bangladesh des pièces toutes belles toutes neuves, me confie que c'est la première fois qu'il lui faut aller aussi loin dans le démantèlement du gang chinois, que c'est une découverte et que ce n'est donc pas gagné.

Heureusement, nous avons toujours la notice.
Malheureusement, nous ne lisons toujours pas le chinois.


Mais nous aimons les défis. Alors pendant que l'ingénieur fait preuve d'ingéniosité, je pars à la recherche de nouveaux "piston rings", segments du piston. Car -et je prends une ligne pour le féliciter- DjianDong a cassé son cadeau: un des nouveaux segments est en morceaux. Des bracelets si fashion, moi, perso, j'aurais essayé d'en prendre un peu plus soin. Enfin je dis ça, il fait ce qu'il veut le djiandong...

Corentin passe des heures plié sur le moteur.
Sympas les vacances, ou pas ?

Sur la zone de carénage de la marina Alcaidesa, tout le monde nous aide beaucoup. L'équipe de l'atelier Volvo se décarcasse pour nous trouver les segments introuvables à la bonne taille; Eric, Ron et Jeff, mécanos anglais, nous prêtent conseils et outils. Tout le monde s'y met et selon les experts internationaux, Djian Dong a des chances de s'en sortir. Je sens naître de l'espoir chez tous ces hommes.... et secrètement je sens naître aussi ma petite angoisse: "et si le moteur remarche mais que je n'arrive pas à le faire démarrer avec sa manivelle toute rouillée?!" Chaque chose en son temps. Il paraît qu'il existe un pschit magique qui fait exploser tout ça sans trop se fatiguer lors de la compression. Mais nous n'en sommes pas là.

Jeff & Coco
Avant d'agir, il est important d'écouter les différents avis. Cette phase d'étude du diagnostic donne lieu a de bons moments d'un partage qui dépasse le domaine de la mécanique pure et dure.
Jeff, par exemple, profite d'un petit moment à bord de Tara Tari pour nous parler de ses rêves de grand large. Il nous pose des questions sur nos aventures, sur notre mode de vie qu'il trouve assez extrême mais qui lui parle et qui lui fait réaliser qu'il peut-être prêt à partir. Il nous parle de lui avec une émotion qui dévoile une vérité du mécano viril et tatoué. Jeff a toujours voulu filer vers son rêve de grand large en solitaire, mais "entre les enfants encore petits et les femmes qui apprécient les manucures, ça n'aide pas à partir". Ce n'est pas le sujet, mais je trouve la remarque dure pour la féminité et à ce moment-là, je me souviens avoir regardé, un peu sceptique, mes mains écorchées et noires de cambouis; ce qui a fait rire Jeff et Coco. Tant pis, je cache un peu mes mains - si féminines - et dis "mais les femmes peuvent aimer les aventures, et les enfants aussi!" je n'ai pas envie de croire que femmes ou plutôt leurs manucures, ou que les enfants soient des réels freins pour celui qui veut vivre son rêve. Partir quelques mois tout seul ne tient que de sa propre volonté; je pense que, homme ou femme, ceux qui nous aiment suffisamment pour accepter le départ savent ou sauront attendre le jour du retour. Nous discutons tous les trois, accroupis avec TaraTari. Jeff a levé certaines des ancres qui l'empêchaient de larguer les amarres et est propriétaire d'un voilier. Nous sentons qu'il est maintenant proche de son départ et l'encourageons. Go for it, Jeff!

Enfin voilà, grâce à l'aide de l'équipe du varadero, de l'atelier Volvo et de nos amis mécanos, et après quelques jours d'acharnement, Corentin m'annonce que l'heure est venue. Nous allons remonter les pièces et de tenter de réanimer DjianDong. Opération longue et minutieuse.


Pendant le délicat acte chirurgical, Corentin me dit qu'il est impressionné de voir à quel point les gens m'offrent leur aide. C'est vrai que depuis le début, TaraTari et moi recevons énormément d'aide et je suis infiniment reconnaissante envers tous ceux qui nous aident, ne serait-ce que par un mot, un outil ou même un sourire. Alors je le re-dis: Merci!

L'opération s'est bien passée. Djian Dong a perdu beaucoup d'huile, mais devrait s'en sortir. Nous sommes rassurés.
- "Vous allez pouvoir refermer!" me dit docteur coco, qui pourra plus tard, prévenir la famille de DjianDong restée aux champs, au Bangladesh.

Djian Dong est maintenant en salle de réanimation.
Coco protège sa main, et tente de démarrer la bête avec la manivelle.
On se regarde. L'heure est très sérieuse.
Un toussotement, quelques vibrations, beaucoup, beaucoup de fumée et c'est bon!
Djian Dong est en vie!!!

Mais aussitôt, je fais des grands signes et crie* STOP!!! (* le cri est ici nécessaire car même à 40 cm d'écart de l'autre personne il est impossible de se parler quand DjianDong s'exprime. saleté de murène). TaraTari tremble tellement sous les vibrations de DjianDong, que les cales en bois qui tiennent le bateau sur le ber sautent les unes après les autres!

On arrête-là les essais. Il faut attendre la mise à l'eau; mais ce premier signe de vie est déjà une bonne nouvelle et nous sommes super contents! Et puis j'ai, maintenant, bien compris comment fonctionne l'animal! Nous rangeons les outils et je remercie Coco d'avoir eu la patience de m'expliquer chacune des étapes et manipulations; je me sens un peu moins 'nulle' et inutile.
Nous ne savons pas encore si l'opération sera un réel succès, mais je promets déjà de prendre bien soin de Djian Dong.

Hé tu sais, Coco, à ce sujet: je me sens plus prête que jamais à faire face à tout éventuel nouveau problème de communication avec DjianDong: j'ai troqué mon ciré pour l'équipement idéal! 

 La Murène : posture de base
j'espère que ton nez qui ne te fait même pas mal va mieux.
héhé.

à bientôt tout le monde!
Capucine, doctorante ès sale bête.

1 commentaire:

  1. Sans vouloir jouer les machos, je ne peux qu’aller dans le sens de ton ami Jeff et son « analyse ». Depuis plus d’un an que je croise des bateaux de voyage, j’ai bien sûr rencontré beaucoup de couple et je commence à avoir un assez bon aperçu des motivations des uns et des autres.
    Voici ce que j’ai observé, mais je t’en prie ne me tape pas sur la tête parce que je suis assez fragile de ce côté-là.
    En règle générale, on peut considérer que les hommes sont le moteur du voyage et que les femmes suivent... Et elles suivent selon certaines conditions de durée et de confort.
    Il faut que le voyage soit limité dans le temps (un an, deux ans, trois maximum) et il ne faut pas que ce soit trop « roots ».
    Bien sûr tu as raison « les femmes peuvent aimer les aventures et les enfants aussi », ce n’est absolument pas incompatible, mais crois-moi celles qui arrivent à réellement concilier les deux sont des perles rares.
    De plus, lorsqu’il s’agit d’un choix de vie et non plus d’une parenthèse, la présence féminine se fait encore plus rare sauf dans la catégorie des retraités... Je te laisse imaginer qu’elles peuvent être les motivations d’une jeune femme quant à vouloir rester à terre et avoir un toit sur la tête...
    En résumé je dirais que l’homme est plus enclin à tout plaquer et à se lancer à l’aventure, mais c’est la femme qui le retient pour des raisons de pragmatisme biologique. Fonder un foyer sécurisant pour élever des enfants reste malgré tout un désir profond, qui semble a priori incompatible avec la mer... Je dis bien a priori car je reste pour ma part convaincu du contraire.
    Et oui, je confirme aussi qu’une femme peut être une baroudeuse de haute mer tout en restant féminine... J’en connais déjà une : Toi.

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