mercredi 28 décembre 2011

Et enfin repartir

Mercredi 22 décembre. Désagréable sensation de stagner. Il faut changer l'eau des fleurs, pour de l'eau plus pure. J'ai envie et besoin de partir. La décision de ne pas partir dans un vent trop fort était l'option la plus raisonnable, mais j'ai l'impression que chaque journée passée au port m'éloigne un peu de mon aventure. Le safran et les dérives se sont laissés pousser une petite moustache d'algues et d'attente que je nettoie dans l'eau froide du port. Il est temps de partir. Et le temps me laisse enfin repartir.

bon départ de Barcelone
Ciao Barcelona, cette fois-ci je pars pour de bon. Enfin je l'espère. Les conditions sont enfin favorables et les amarres larguées me replongent aussitôt dans mon périple. Je vis ce nouveau départ comme une délivrance. Je m'éloigne de Barcelone, range quelques bouts. Tout va bien, mais pour être franche, je ressens quelque chose d'un peu particulier. La dernière fois que je suis partie de Barcelone, je me suis retrouvée assez vite dans une bonne tempête et si sur le moment j'avais géré sans prendre peur, l'expérience m'a marqué et je crois que cela m'impressionne encore un peu. Inconsciemment, je redoute de me retrouver de nouveau dans la marmite. Je respire profondément et me rassure en regardant la mer dont la surface, plate, évoque plus de douceur que de violence. "ça va bien se passer" me dis-je à voix haute. Et puis un voilier s'approche. Excellent! C'est mon ami Nico, Argentin expatrié, qui vit sur son bateau et qui rêve de traverser l'Atlantique sur son voilier pour rentrer dans son pays. Voisins de ponton au Maritim, nous avons bien sympathisé. Nicolás a souhaité m'accompagner pour quelques bords vers le large. Nico m'a dit que cette rencontre avec Tara Tari lui donnait l'envie et le courage de croire qu'il arriverait lui aussi un jour, à trouver les ressources pour traverser l'Atlantique à bord de son voilier. Une chouette rencontre. C'est adorable de venir saluer mon départ à bord de son bateau. Le vent se renforce assez vite, au niveau du port de commerce. Tara Tari file à 4,5 noeuds et s'échappe loin de la ville. Salut les amis! Un dernier signe de la main, Nico et Pepe repartent. Les craintes cachées d'éventuelles tempête s'envolent elles aussi. Avec TaraTari, nous sommes désormais seuls sur l'eau, et retrouvons une douce sérénité.

slalom spécial
A cette époque de l'année, les gens vont plus souvent skier que naviguer. Et bien nous, n'avons ni les skis ni la neige, mais nous avons les piquets et les bosses. Aujourd'hui TaraTari a eu son étoile, et mieux encore, une médaille au "Slalom spécial". Hop, hop, hop. nous avons enchaîné les virements de bord en nous faufilant au milieu des petits piquets flottants. Il y en a plein. Le parcours est parfois vicieux, avec des portes suprises (piquets à moitié sous l'eau). Mais nous marquons le meilleur temps de notre catégorie - voilier de pêche fabriqué avec du jute - et hissons ainsi le Bangladesh sur la première marche du podium. Trop fort Tara Tari. Et c'est ainsi que devant les montagnes du Garaff nous prenons notre revanche sur le parcours de bosses et les perfs d'un Edgar Grospiron.

L'intensité du vent semble mollir, et je bouquine tranquillement, une main sur la barre. Mais au loin, une sorte de baleine géante arrive à fond les ballons. Je pose mon bouquin et fronce les sourcils. C'est quoi ce truc. Une étrave noire arrive un petit peu trop rapidement à mon goût. Pas de doute, elle me fonce dessus. Je pousse la barre en grand, change nettement de cap, comme pour sortir du viseur de ce gros machin. Mais le gros machin en question change de trajectoire et je me retrouve encore dans son viseur. Non, mais, c'est quoi ce bateau?! L'angoisse. Je ne peux rien faire. Un rapide tour d'horizon, pas un autre bateau aux alentours. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je vais devoir me débrouiller. En 4 secondes, le bateau arrive et fait une sorte de gros dérapage dans mon tableau arrière, du coup je vois le navire de côté. Tara Tari, je crois que nous allons faire une rencontre d'un nouveau genre.


La Guardia Civil. Police militaire espagnole.
Ils s'approchent. Et avec leur gros bateau, ils sont désormais à deux mètres de TaraTari. Cinq hommes sont sur le pont. "Hola messieurs". Là, je suis contente de parler couramment espagnol.
- "Bonjour, vous venez d'où?"
- "Là? euh de Barcelone"
- "Tu es d'où?'
- "Je suis Française"
- "Et le bateau, il vient d'où ?"
- "Du Bangladesh"
- "C'est quoi ça, le drapeau du Japon?"
- "euh... non... celui du Bangladesh" (tu n'as qu'à demander aux élèves de 5è5 si tu ne sais pas...)
- "Tu es seule ?"
- "Oui"
Je n'aime pas trop ce questionnaire et décide de prendre les devants, craignant de les voir monter à bord et fouiller dans mes affaires à la recherche de je ne sais quoi.
" Vous voulez voir les papiers du bateau ?"
- "Attends" me disent-ils d'un ton assez autoritaire.
Non, vraiment, je n'aime pas trop tout ça.
- "J'ai fait quelque chose de mal?" demande-je alors avec une naïveté un peu improvisée.
- Non.
Ils se tiennent debout sur la passerelle, les jambes un peu écartées, les mains sur le ceinturon, genre cowboys des temps modernes. Ils m'interrogent encore:
"Mais tu viens d'où et tu vas où ?"
- "Je viens de France, de La Ciotat et je vais..."- je réfléchis une seconde, si je réponds "Miami" la conversation va durer, je trouve autre chose, de plus plausible, de plus vague - "je descends vers le Sud".
- "Mais tu t'arrêtes dans quel port ensuite ?"
- "Et bien, ça va dépendre du vent... j'aimerais arriver à Valence ou Alicante, mais j'imagine que je vais m'arrêter avant car les nuits sont longues et c'est fatiguant. - je tente la carte de la sensibilité.
- "Ah, vale vale".
Et les hommes se parlent, sourient.
- "Tu étais au ponton du Maritim, à Barcelone, non? " me demande l'un d'entre eux.
- "Oui."
- "Ah, j'avais vu ton bateau. Il est beau, mais encore plus beau sous voiles."
Cette remarque me soulage. je souffle et comprends que leur visite n'est que curiosité.
- "C'est le plus joli voilier du monde!" lance-je fièrement.
Ils rigolent.
- "On peut faire une photo ? "
- "Avec plaisir!"
Et les cowboys dégainent les téléphones portables, et nous mitraillent de photos.
- "Nous n'avons vraiment pas l'habitude de voir ce genre de bateau, (tu m'étonnes John) et encore moins l'habitude de rencontrer une jeune femme comme toi, qui navigue seule en plein mois de décembre ici! C'est fou!"
Je souris. Et nous discutons un peu. Enfin, le un peu dure bien 15 minutes.
- "Bon voyage!" me dit le pilote, en français
Les autres enchaînent "Bon vent!" "Sois prudente!" "Bon courage!"
Et celui qui avait repéré le bateau à Barcelone, me demande encore :
- "Mais si je comprends bien, cette navigation, ce bateau... c'est un mode de vie?"
- "C'est un peu ça. Il y a un but, mais qui se vit au quotidien et dans la simplicité.
- "Et bien, tu es bien courageuse!" me lance-t-il plein de respect.
- "Merci, à bientôt!"
Quelques signes de la main, et les voilà partis vers Barcelone. 

Oufff. Fin de l'épisode Guardia Civil. Je tire la barre et reprends mon cap. "Et bien Tara Tari, voilà encore une étonnante rencontre!" Le soleil se couche et nous retrouvons notre calme.


Cette soirée a quelque chose de particulier. Je ne sais pas vraiment comme l'expliquer. Je suis sous le charme des couleurs et de la mer. En fait, je sais. je crois que je suis super heureuse d'être repartie. Mais vraiment. Je m'accorde quelques instants de contemplation. Le ciel devient rose. Je regarde TaraTari qui devient tout rose lui aussi. "Pas très viril, mon gars!" plaisante-je avec lui.
Je descends dans le bateau, sors l'harmonica, et joue un air léger, celui des Mystérieuses Cités d'Or.

♪ ♫ ♪♪ ♫♫
"Enfant du soleil, tu parcours la terre, le ciel, cherche ton chemin, c'est ta vie, c'est ton destin..."
"Enfant du soleil, ton destin est sans pareil, l'aventure t'appelle, n'attends pas et cours vers elle "
L'air de ce dessin animé que je regardais petite, ne me quitte pas de la soirée. 

Tout va bien ce soir à bord. Sincèrement.

La nuit tombe. Et le vent se renforce. "Comme d'hab!". Mais heureusement, le vagues sont praticables et la soirée ayant été plutôt paisible, je me sens d'attaque. J'ai l'impression de revenir un peu sur les lieux du crime de la tempête. Peur de me retrouver face à face avec le méchant de l'histoire.

La nuit est usante. Prendre un ris, le lâcher, prendre encore un ris, le lâcher et rebelotte. Je change de configuration de voile toute les heures. Et la nuit dure plus de 14h. Toutes ces manoeuvres réchauffent, mais c'est fatiguant. Et je n'ai pas vraiment le choix, car les calmes sont trop calmes pour laisser la voile arrisée, et les coups de vent trop forts pour laisser la voile haute.

Il fait froid, c'est rude de naviguer la nuit, fin décembre. En tout, je m'accorde deux siestes de cinq minutes, mais pas plus. Il y a quelques bateaux de pêche et puis, je redoute une rébellion surprise des vagues. On ne sait jamais, par ici. Les catalanes sont rebelles.

Il est 5h du matin, et j'arrive devant Vilanova i la Geltru (à une trentaine de milles de Barcelone). Je suis vraiment fatiguée par la nuit qui a été glaciale et fatigante avec toutes ces manœuvres nécessaires. "Qu'est-ce que je fais?" je réfléchis à voix haute. "Tu en penses quoi, Tara Tari ? On s'accorde une petite pause, ça te va?"

La nuit est encore bien sombre et je m'approche doucement du port. Il est 6h30 et je ne suis plus qu'à quelques longueurs du feu vert de l'entrée du port. Quand soudain un bateau de pêche sort du port à fond les ballons, puis un deuxième et un troisième..... C'est quoi cette histoire?! A la queue leu-leu, les bateaux de pêche de Vilvanova sortent comme des fusées; j'en compte 37!!
J'hallucine complètement, c'est la guerre ou quoi ?! Pauvres poissons! Aux abris! ai-je envie de leur crier. Mais je préfère éclairer mes voiles avec la lampe. Car si les feux de mât fonctionnent, je préfère être trop vue que pas assez. Je surveille de tous les côtés.
Les bateaux ont des lumières rouges et vertes qui permettent de savoir, la nuit en mer, dans quelle direction va le bateau. Par exemple, si je vois le feu vert du bateau, cela signifie que je vois son côté tribord, inversement, si je vois une loupiote rouge, c'est que je vois le côté babord. Le problème, c'est que quand on voit feu rouge ET le feu vert, cela signifie que le bateau nous fonce dessus. Et là, il ne faut pas réfléchir beaucoup et vite changer sa trajectoire pour éviter la collision. Surtout que ces bateaux vont très vite.

      Feu rouge, ok. Feu vert par là, ok. Ah: feux rouges et verts, vite il faut que l'un de nous change sa route! J'ai l'impression d'être dans un jeu vidéo. Quel stress! Ils déboulent à toute allure et Tara Tari et moi serons les fesses, passons entre tous ces fous furieux.  "Heureusement que tu as décroché ta médaille en slalom spécial hier, TaraTari! cela nous est d'une précieuse aide!"
J'essaie de démarrer le moteur. Impossible. Ce n'est pas un problème de démarrage ou de compression. Il y a un point dur. La manivelle ne bouge pas d'un millimètre, exactement comme à Marseille. Bon je vais faire sans. Je continue de surveiller les feux, et éclaire mes voiles, je fais un petit tour pour ne pas me retrouver juste devant la sortie du port. Je prends la VHF portable. Canal 9, celui qui permet de joindre le port. Je préviens de ma présence, espérant que les pêcheurs sont eux aussi à l'écoute.
Je préviens la capitainerie de mon arrivée... à la voile.


Le jour arrive doucement, et j'arrive dans ce grand port, au près dans le petit temps. Au près, donc j'enchaîne les virements de bords. Il n'y a plus beaucoup de vent et je ne dois donc pas faire de manque à virer car je dois garder un peu de vitesse pour rester manoeuvrante. Les gars de la capitainerie sont très désagréables me disent de me dépêcher car les deux gars qui m'indiquent avec une lampe de poche l'emplacement que je dois prendre "ont froid". Pauvres biquettes.
Un emplacement étroit, perpendiculaire au ponton, entre deux bateaux sur pendilles. Je n'ai jamais fait une telle manoeuvre de port à la voile. Mais visiblement ici personne n'a très envie de m'aider, alors je gère comme je peux et je réussis ma manoeuvre. Je suis exténuée mais fière d'avoir réussi, heureuse de ne pas être à Barcelone, soulagée d'être enfin repartie. J'amarre le bateau, fait revenir la pendille au support de dérive pour ne pas avoir a tirer trop sur la ferrure du pataras. Prendre soin du bateau, c'est le principal; je fais un petit tour d'inspection générale, et range bien les voiles. Tout est ok. Je me refuge au creux de TaraTari, m'allonge et m'endors en une minute.

Trois heures plus tard, je me réveille. Dehors, quelqu'un m'appelle.
...
la suite, très vite ; )
Capucine

4 commentaires:

  1. Bonjour Capucine , c'est Tony de La Rochelle ^^ Comme promis je viens à tes flots du moins suivre tes aventures qui font réver !!! Je lis que tu y prends plaisirs par ces differentes situations journalières ^^ Prète pour le slalom méditerranéen !!! lol. J'te souhaite de bons vents , biensur pas trop fort , juste de quoi te faire voguer à bon port ^^. Salutation ;-)

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  2. Bonjour Capucine, je sais combien c'est important de te sentir soutenue dans pareille aventure. Pour la nouvelle année je te souhaite ainsi qu'à Tara Tari de tracer un beau sillage sur l'océan.
    Milles pensées.
    Daniel
    Skipper mini 650 n°402

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  3. Arrivée sous voile, de nuit dans un port que tu ne connais pas... Respect.

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  4. J'ai cru un instant reconnaître le grand bateau du port de Torrevieja dans ta photo, mais on dirait que non! Une amie vient de me donner le lien vers ton blog, et au lieu de retourner me coucher je suis en train de te lire. Bon vent de la part d'un marin d'eau douce du dimanche (oui je sais j'accumule ;-)).

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