lundi 28 mai 2012

Les lumières de Casablanca

En mer. le 11-12-13-14 mai 2012.

- "Maxime, je viens de parler avec Gérald (météo Greatcircle): il dit que nous pouvons nous arrêter à Larrache ! héhé plutôt comique comme nom de port, tu ne trouves pas?"
Ça, c'était un peu après le passage du Cap Spartel. L'idée de nous arrêter était apaisante et reposante mais les milles défilent à bonne allure sous la coque de Tara Tari et nous aident à digérer un peu ce que nous nous sommes pris dans la figure dans le détroit et nous décidons de continuer notre route.
A terre, en préparant la nav, j'avais envisagé d'aller assez vite au large, en route directe vers les îles Canaries; d'après les fichiers météo, le vent nous y pousserait assez vite à une force de 15 à 20 noeuds: conditions idéales.

Le 11 mai. Près des côtes du Maroc.
Le soleil est bon, il fait même chaud et nous avançons au portant, les voiles en ciseaux dans un vent agréable. En ce deuxième jour en mer, nous avons enlevé les ris de la grand voile et nos cirés. Installé à l'ombre de la grand voile, Maxime est dans ses pensées.

Maxime
Ça a n'a pas l'air d'aller fort. Nous parlons un peu.
Gibraltar, c'était un peu violent pour un début de nav'. Maxime est en vacances, il débarquait de l'avion et s'est retrouvé dans un tambour de machine à laver quelques heures seulement après son arrivée. Il ne s'attendait pas à une navigation si usante, Tara Tari n'est pas un bateau confortable et comme il doit reprendre le boulot dans 10 jours, il préfère débarquer avant d'arriver aux Canaries pour rentrer en forme, ce que je comprends tout à fait. C'est une des règles à respecter en mer: naviguer est un plaisir, quand le plaisir s'en va, continuer est une erreur.

Voyons la carte.

Nous nous mettons d'accord: nous irons jusqu'à Casablanca. De Casa, il sera facile pour Maxime de prendre un avion pour la France, nous aurons avancé un peu et puis cela me donnera l'occasion d'aller voir ma bonne copine d'études, Siham, que je n'ai pas vue depuis des années. Aller à Casablanca est une décision qui nous convient bien à tous les deux et nous changeons donc notre route, calculons le nouveau cap à tenir. Nous pouvons y être demain ou après demain.

Nouvelle route: cap sur Casablanca!
L'ambiance est plutôt bonne à bord et peu à peu nous nous remettons de nos émotions gibraltariennes.
Le vent mollit tranquillement, mais nous avançons.
Maxime lit l'Alchimiste. Je le vois sourire - jaune.
- "qu'est ce qu'il y a ?"
Il me lit l'extrait:
- "Le berger savait que l'Afrique n'était pas si loin: de Tarifa, il n'avait qu'à traverser le petit détroit en bateau pour arriver sur le continent africain" Maxime se marre "vu comme ça, ça à l'air un peu plus facile que dans la réalité! j'aurais aimé le voir, le petit berger, hier dans le petit détroit!"

La vie du bord se met en place. L'un se repose à l'intérieur, l'autre veille sur le pont; nous prenons nos repas ensemble dehors. On vit avec le soleil, et profitons de ses derniers rayons pour dîner. Les nuits sont beaucoup moins froides que cet hiver, mais elles sont très humides alors j'apprécie toujours autant l'arrivée du soleil, le matin.

Lever de soleil
Le 12 mai. Nous sommes au large de Rabat et n'avons aucune info météo. Le vent s'en est allé et DjianDong, noyé dans le détroit, ne veut pas démarrer. Il fait des bulles: de l'eau sort part le pot d'échappement! Pauvre djiandong! Prendre son mal en patience, je suis habituée. Régulièrement je vérifie notre route grâce au petit gps; nous sommes sur la route, c'est déjà ça, mais à cette vitesse, arriver à Casablanca sera aussi long que si nous avions fait une route directe vers les îles.

à 0,5 nœud de moyenne, l'arrivée à Casablanca semble encore loin.
Il faut absolument que l'ambiance reste bonne à bord. Après le coup de tabac dans le détroit, nous voici pris au piège des calmes: les voiles faseillent et le moral des troupes pourrait bien en faire autant si cela continue comme ça. Cela fait six mois que je vis avec TaraTari et la pétole ne me dérange pas trop, je lis et m'occupe mais je me demande si Maxime va supporter cette nouvelle épreuve? Sans vent, nous n'avançons pas d'un plancton. Je me sens responsable de l'ambiance du bord et j'essaie donc de soigner cet aspect là de notre navigation. Il faut bien se nourrir et bien se reposer pour garder la pêche. Quelques fruits frais ont survécu à la bataille de Gibraltar, un délice plein de vitamines qui fait du bien - je suis pour la paix mais surtout pour les fruits dans le monde :) Nous parlons aussi car c'est important de ne pas taire les contrariétés, pour éviter l'implosion. Nous prenons un rythme qui nous correspond et tout se passe bien. Et la bonne nouvelle: le pilote automatique refonctionne grâce à un nettoyage sérieux de la prise située sur le pont.
sur la route
Le 13 mai. J'apprécie les moments seule sur le pont. Je parle à voix basse à TaraTari. je suis si heureuse que nous soyons enfin arrivés en Atlantique! A cet instant, je me fiche pas mal de la pétole, je savoure. Bien installée à ma "place de princesse", tout à l'arrière, je bouquine et surveille les pêcheurs autour de nous. Au petit matin, la température est fraîche et c'est bien agréable.

lecture matinale
Il est 15h et nous passons devant Mohammedia et il ne nous reste plus qu'une dizaine de milles pour arriver à Casa. Mais le vent n'est toujours pas revenu et cela nous semble interminable. J'ai l'impression que Maxime vit de mieux en mieux la pétole, il est à fond dans ses dessins et ça fait plaisir à voir.

au large de Mohammedia
Nous luttons comme nous pouvons contre la chaleur écrasante de la journée. Pas un coin d'ombre à bord; à La Ciotat j'avais embarqué un parapluie trouvé dans une poubelle du port, mais ce parapluie-là est resté dans une poubelle de Gibraltar car je ne pouvais plus l'ouvrir à cause de la rouille. C'est idiot car c'est maintenant qu'il aurait été utile.

Bientôt à Casablanca
En fin d'après midi, nous fêtons notre arrivée prochaine à Casa, avec un peu de saucisson et quelques amandes grillées. Mais le vent est toujours bien mou. Nous sommes proches de la côte et les appels à la prière s'entendent à bord. L'Espagne semble loin et je réalise être en plein voyage.

Le soleil s'est couché et nous avançons péniblement vers les lumières de Casablanca, aux rythmes des prières que nous écoutons de plus en plus clairement.

Casablanca
Il y a des cargos partout, et nous sommes tous les deux sur le pont, concentrés et attentifs au moindre feu mouvant. C'est assez impressionnant tous ces cargos, et je stresse un peu car sans vent nous ne sommes pas très manoeuvrants. Je reste à l'avant, jumelles aux yeux.

au milieu des cargos, en approche de Casablanca
Nous sommes super heureux d'arriver. Entre deux cargos, nous essayons d'imaginer la ville dans laquelle nous n'avons jamais été et que nous longeons depuis des heures maintenant. "On ira se manger un bon tajine avant ton avion!" On se parle comme si l'au revoir était pour bientôt et faisons une photo de notre petit équipage en souvenir de cette nav assez exceptionnelle.

photo d'équipage devant Casablanca, le 13 mai 2012
Il est 1h du matin, et nous sommes désormais dans le chenal d'entrée du port de Casablanca. Nous sommes quasi à l'arrêt à cause du vent inexistant, et c'est assez délicat car les cargos vont et viennent. Nous nous mettons sur le bord extérieur du chenal et je contacte le port par vhf. Et là surprise.
- "Veuillez épeler le nom de votre navire s'il vous plaît"
- "Tango Alpha Roméo Alpha  Tango Alpha Roméo India"
On m'interroge: pavillon du bateau, nombre de personnes à bord, nationalité de l'équipage, longueur et tirant d'eau du navire... tout cela prend un bon moment pour finalement entendre :
- "La marina est fermée, vous ne pouvez pas entrer. Vous devez aller à Mohammedia, à 11 milles nautiques au Nord Est de Casablanca: si vous ne pouvez pas, je trouverai une place dans le port de commerce."
Je regarde Maxime, nous sommes un peu dépités. A la vhf, la voix s'impatiente:
- "Vous pouvez aller à Mohammedia: affirmatif ou négatif?"
- "Affirmatif! Nous allons à Mohammedia."

Et nous voilà repartis à l'opposé de notre route, au Nord Est! Et dire que nous sommes passés devant Mohammedia en début d'après midi! Sans vent, ça va nous prendre la nuit! Nous sommes vraiment déçus mais sans broncher nous poussons la barre et nous éloignons des lumières de Casablanca.

Le 14 mai. Il est environ 10h du matin quand nous arrivons dans le chenal de Mohammedia. Un cargo manoeuvre devant nous, je prends la vhf et contacte le port. Même process qu'à Casa: 
- "Veuillez épeler le nom de votre navire s'il vous plaît"
- "Tango Alpha Roméo Alpha  Tango Alpha Roméo India"
On me pose exactement les mêmes questions et je réponds avant de demander la position exacte de la marina. On me répond de manière peu chaleureuse:
- "N'entrez pas! Nous sommes occupés: un cargo manoeuvre et vous devez le laisser faire. Attendez nos instructions; je répète: n'approchez pas."
Ça commence à bien faire. Cela fait bientôt vingt minutes que nous tournons devant l'entrée du port et toujours pas de nouvelle. Le vent se met à souffler et je n'ai qu'une envie: repartir vers le large. Maxime est au téléphone, raccroche et me dit: "bon bah je n'ai plus de contraintes de boulot..."
On se regarde et nous sommes donc d'accord: Cap vers le large! Nous repartons vers les Canaries!

Escale impossible au Maroc: cap sur les Canaries!
Grâce au vent revenu, nous filons à 5 noeuds vers le Sud Ouest.
Dans cette histoire, nous avons fait un aller retour d'une trentaine de milles pour rien. Nous repassons un peu au large de Casablanca. Avant d'être trop loin des côtes, j'utilise le dernier souffle de batterie de mon téléphone pour prévenir mes parents: "Bonjour maman! Tout va bien! Nous avons essayé de nous arrêter au Maroc mais faisons désormais route vers les Canaries; ça va être assez long, tout va bien ne t'inquiète pas. Je ne pourrai plus donner de nouvelles avant l'arrivée!" Maman me demande si nous avons assez d'eau et je la rassure, j'avais prévu large. La conversation ne dure qu'une minute. Maxime prévient aussi ses parents et nous voilà en route vers le large.

Bientôt 5 jours en mer et nous avons encore plus de 450 milles à parcourir avant d'arriver dans l'archipel des Canaries. Le moral est bon à bord: cette nouvelle décision et le vent revenu revigorent nos ailes oranges.
Capucine

2 commentaires:

  1. Excellent ce changement de programme!
    Si tu cherches un coéquipier apres les Canaries, dit moi, j'en ai marre de naviguer en Bretagne ;-)
    Allez bon vent !

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  2. Bonjour, bravo et merci pour le journal de bord, c'est super intéressant, on s'y croirait. Vous avez le grand bonjour des Navigateurs du Bassin d'Arcachon. Bonne continuation.

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