mardi 15 novembre 2011

Passage de témoin

Dimanche 13 novembre. C'est aujourd'hui le grand jour et pourtant je sais, je n'ai finalement pas largué les amarres aujourd'hui. Mais ce n'est pas très grave. L'important est ailleurs. Tara Tari va vivre, va naviguer et continuer à insuffler quelque chose de fort. Maintenant, nous en avons la certitude.

"Sérieux?! Tu pars le 13 novembre ?!" la question semble unanime.
C'est assez sérieux oui.
Le 12 octobre, Corentin arrivait du Bangladesh pour assister à la sortie de chantier de Tara Tari. Il avait le sourire. Moi aussi. Le 15 octobre nous avons mis le bateau à l'eau, et un peu navigué. Tout s'est très bien passé. Il fallait fixer une date pour le départ. "J'étais parti le 13 janvier.. pars le 13, toi aussi!" me suggère alors Corentin. Et c'est grâce à ce savant calcul que nous annonçons la date de mon départ. Pendant l'hiver, j'avais un peu regardé les Pilots Charts, le calendrier correspond bien. "Je repars de là où tu es arrivé, comme ça Tara Tari continue sa longue route". Tout simplement.

 Chantier terminé le 12 octobre 2011 - FR Nautisme. ©BleuSafran


"Mais tu es certaine, Capucine de vouloir partir si vite? " Nouvelle remarque collective.
C'est assez certain oui. Pourquoi attendre? Tout s'est passé assez vite, mais j'ai travaillé dur et j'ai reçu l'aide précieuse d'amis dans toute ma préparation. Il y a du travail à faire pour que le bateau soit prêt, mais rien d'insurmontable.
"Es-tu vraiment prête?" s'inquiète-t-on encore un mois plus tard.
Peut-être. peut-être pas. Est-on jamais prêt à vivre quelque chose d'inconnu? Je ne pars pas à l'aveugle, je suis entourée, j'irai doucement (pas le choix en même temps ;) , avec prudence. Je ne cherche pas l'exploit démesuré, et j'espère avoir la lucidité de m'arrêter le jour où je ne le sens plus. Mais là, dans l'instant, je me sens prête. Prête à tenter. Les délais sont respectés, nous sommes à La Ciotat un mois seulement après la sortie du chantier. Le départ est décalé de quatre jours mais Tara Tari est prêt. Pas envie d'attendre, et je n'ai pas trouvé de bonnes raisons pour ne pas tenter.

Corentin est venu à La Ciotat pour mon départ. Ce moment là, nous l'avons imaginé plusieurs fois. Je suis sur le bateau, Corentin largue les amarres, et nous sommes émus etc. Ce scénario prévisible, nous l'avions un peu vécu lors du baptême du bateau, devant la caméra de Pierre Marcel, et vécu encore de manière plus réelle lors de mon départ de Concarneau. Sorte de répét' gé' avant le jour J. L'émotion était là comme prévu. Mais le jour J venu, dans la réalité réelle du départ, tout se passe autrement. Et c'est tellement mieux comme ça.

Le départ décalé, nous improvisons un petit goûter de départ. Deux planches posées sur deux bidons d'eau, jus de fruits, quelques biscuits et fruits présentés sur des assiettes en bambou. Histoire de marquer le coup. Quelques personnes viennent. Marc Van Peteghem est là pour ce moment important. Il regarde le bateau et une strat que nous venons de faire pour fixer le vérin du pilote, il m'explique ce qui ne va pas, et nous améliorons aussitôt le petit support (fait avec un morceau du tube de mes béquilles). Voilà le tableau. Tout est simple et amical. Un verre de jus de fruit à la main, une spatule dans l'autre. Bricolage, papotage. Bon esprit. Avant de partir, Marc me demande de m'accrocher tout le temps. Je lui en fais la promesse, comme je l'ai promis à Corentin.

Le train de Corentin part dans la soirée. Nous partons en avance, et improvisons dans la gare vide, une table avec un panneau solaire qui retourne au Bangladesh. A l'encre bleue, Corentin rédige quelques lignes, attestant qu'il me confie son bateau. Un document qui se veut un peu officiel, et que je pourrais montrer aux autorités des différents pays dans lesquels je ferai escale. On ne sait pas trop si cela servira, mais nous anticipons comme nous le pouvons. Griffonner une feuille blanche n'a rien de dingue mais curieusement, l'instant est solennel.


Nous sommes seuls dans cette petite gare froide, à la lumière d'un néon blanc, entourés de bornes sncf. Le papier est signé. Nous nous serrons la main. Poignée de main franche, honnête, et le regard qui va avec. Il n'y a rien de mou là dedans, c'est du solide. Nous sourions. Cet accord aurait pu être signé à l'ONU, vu notre sérieux. Nous baissons les yeux silencieusement vers cette feuille devenue précieux document. Il faut croire que nous sommes tous les deux sensibles aux symboles. Quelques rires un peu nerveux, nous filons vers le camion.

Il fait nuit. Corentin me dit qu'il y a encore quelque chose que nous devons faire. Il farfouille dans son sac rouge vagabond, en ressort un objet. Je ne vois pas très bien ce que c'est, mais Corentin a un grand sourire. "Tiens, c'est pour toi! Tu dois l'avoir toujours avec toi! pour marquer le passage de Tara Tari là où tu iras!" Corentin parle d'une voix heureuse. Et dans mes mains, il me confie le tampon Tara Tari. C'est encore plus fort que le bout de papier. C'est vrai, et puis un document tamponné a toujours plus de valeur que s'il ne l'était pas. Je range précieusement le petit objet qui signifie tant pour nous. Nous parlons encore. joyeusement.
Quelle heure est-il? Le train! vite!


Cérémonie de remise du tampon. le 13 novembre 2011 à la gare de La Ciotat.
Têtes en l'air. Seuls sur le quai, nous ne pouvons que constater que malgré nos 3/4h d'avance, nous venons de laisser partir le train. Nous rions. "On est nuls!" déplore-t-on d'une seule voix. Tant pis. Ce n'est pas grave, voire plutôt drôle. "je t'emmène à Marseille, là tu auras ton train vers Paris!... et rassure toi, cette fois-ci, je fais taxi avec le camion, pas avec le bateau!" Et nous voilà partis sur la route! Finalement, c'est bien aussi de ne pas se quitter dans la précipitation.

Pas fastoche de trouver le chemin vers la (bonne) gare. Ces derniers moments ressemblent à un jeu de pistes, nous rions facilement et arrivons enfin. La gare. Horaire parfait. Voilà, voilà. Difficile maintenant d'échapper au redouté au revoir.

Nous sommes là, sur le quai de la gare dans le brouhaha froid de l'endroit qui grouille. - rien à voir avec la carte postale du Sud: il n'y a ni cigale, ni huile d'olive et Marcel Pagnol ne composte pas son billet de tgv. Aussi authentique et chaleureux qu'un pot d'herbes de Provence dans un supermarché parisien. Un peu dans notre bulle orange de Tara Tari, nous sourions encore "On avait imaginé le départ du quai... en oubliant de préciser si il s'agissait d'un quai de gare ou de port !". Rire pour ne pas laisser gagner l'émotion. L'humour est un bon remède.
La foule, le bruit, le froid, le béton et les trains... Corentin se veut rassurant :"la prochaine fois que nous nous verrons, ce sera sur une plage de sable blanc" Nous nous donnons rendez-vous aux Antilles, où il viendra m'accueillir.


La barre, franche, de Tara Tari.    ©François Landrot
Alors non, je ne suis pas partie le 13 novembre, mais ce jour était important. Avec Corentin, nous avons officialisé cette passation. Il m'accorde sa confiance pour mener Tara Tari vers de nouveaux horizons. C'était symbolique, c'était entre nous, et cela restera un moment important. Je vais tenter de continuer à faire vivre l'esprit Tara Tari. Corentin a eu une idée, a lancé quelque chose de fort que je vais essayer de poursuivre. La transmission, la continuité permet de faire vivre de belles idées. Mais la responsabilité est grande et je n'imagine pas à quel point cela doit être étrange pour Corentin de voir son voilier partir sans lui. Je lui suis infiniment reconnaissante de m'accorder une telle confiance.

Passage de témoin pour les témoins de passage que nous sommes sur notre belle planète. L'aventure continue! Longue vie à toi, Tara Tari!

Sereine, je peux désormais larguer les amarres. Je suis prête et peut-être déjà un peu partie.

Le coup de vent passé, nous quitterons La Ciotat le jeudi 17 novembre, dans la matinée, en direction de Marseille pour une première navigation. Chapitre d'introduction de cette belle histoire de mer que je pars vivre avec Tara Tari.
Capucine

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