Il fait nuit et le vent est endormi. La surface de l'eau est lisse comme un lac, et Tara Tari glisse tranquillement vers la citadelle. Tout est calme quand soudain, trois gros semi-rigides nous frôlent, rapides comme des fusées. A bord, des hommes en noir, cagoulés. Ce sont les commandos de marine. Ils s'entraînent souvent par ici. "Vague!" Tara Tari se fait balloter. Merci les cowboys. Retour au calme. Il est déjà 23h30 quand nous passons la citadelle. Je dois passer un petit coup de fil et rentre pour cela quelques minutes à l'intérieur du bateau. Rapide coup d'oeil quand je ressors.. "Corentin.. Là, on va vers Belle Ile". Il y a deux passes pour sortir de la rade, l'une part vers le Sud - où nous sommes -, l'autre vers l'Ouest - où nous devrions être. Demi tour, il faut récupérer le bon chenal. Ce petit écart nous amuse mais ce n'est pas comme ça que nous allons être à l'heure! Concentration dans la salle.
Cette nuit doit être le soir d'une fête nationale dans le ciel breton; les étoiles ne tiennent pas en place, filent dans tous les sens. Feux sans artifices. Nous remontons au près vers Pen Men, le regard vers le ciel. La nuit est vraiment jolie. Et Tara Tari navigue, by night, sans encombre. Tout va bien à bord.
La béquille s'est cassée le pied
Nous avons ficelés sur les haubans deux petits feux de navigation, vert et rouge (comme sur tous les taxis) et aussi un blanc sur le pataras. Je me demande quel bateau arrivera à distinguer ces petites loupiotes timides. Nous avons une lampe de poche un peu plus grande pour éclairer les voiles de temps en temps histoire d'être vus par les pêcheurs que nous croisons. Le vent s'est levé et nous progressons toujours au près. Il est trois heures du matin, je termine une petite sieste. De l'intérieur, grâce au hublot avant, il est possible de voir les voiles et les réglages, le bateau est magnifique vu d'ici. Et puis soudain, un bruit pas tout à fait normal, et un deuxième. Corentin se met aussitôt face au vent et affale les voiles, je bondis sur le pont. Une barre de flèche a lâché - c'est le premier bruit. Enfin c'est l'embout en caoutchouc de la béquille qui s'est envolé. Il faut dire que l'on avait pas vraiment protégé l'ensemble. Le tube est toujours là, c'est déjà ça. Le deuxième bruit, plus inquiétant, vient du mât. Sous la contrainte, une vis du manchon du mât a cédé, à hauteur de la barre de flèche. A la lumière de nos frontales, nous improvisons une réparation. Une longue vis, un bout de caoutchouc bien épais, un petit bout... ça devrait faire l'affaire. Je me sers des petits trous qui servent à adapter la hauteur des béquilles pour fixer le bout au tube. Ça devrait tenir. Corentin est dans le mât place la barre de flèche réparée. Il redescend, souffle un bon coup. On a n'a pas été loin de démâter. Nous hissons les voiles. La réparation semble tenir, le mât est soulagé, et nous aussi. Nous reprenons notre route, vers l'archipel des Glénan.
Ce petit incident est une bonne chose finalement. Il faut savoir se débrouiller avec les moyens du bord. Observer, anticiper, réagir vite. Cette avarie est un cas concret, mise en situation réelle d'un problème qui peut arriver. Dans ce genre de situation, il faut réfléchir vite et bien; analyser les priorités, c'est à dire mettre le bateau en sécurité pour pouvoir réparer sans danger. Pendant mon périple, je devrais certainement faire face à ce type d'incidents et je dois m'y préparer.
Le vent est bien en face de nous. Quelques bords pour avancer sont nécessaires, alors pendant que Corentin se repose, j'en profite pour enchainer quelques virements, cela m'entraîne à manœuvrer seule. Un peu plus tard, nous sommes tous les deux sur le pont. Il y a des pêcheurs partout autour de nous, le jeu consiste donc à garder nos distances pour ne pas être pris dans les fumes des chaluts et aussi d'éclairer assez souvent nos voiles pour signaler notre présence.
La nuit se termine bien, avec du vent et une mer pas trop mauvaise. Vers 5h du matin, Tara Tari se fait escorter par des dauphins. Ils sont plusieurs a jouer avec la coque du bateau, allant d'un côté puis de l'autre, parfois ils sautent ou plongent et reviennent enfin. On ne se lasse jamais de la compagnie des dauphins. "Merci! et faites attention aux pêcheurs!" leur conseille-t-on, avant qu'ils ne s'en aillent.
Le ciel s'éclaircit. Mon moment préféré en mer.
Djian Dong et moi, ce n'est pas gagné
Le vent tombe et le moment que je redoute arrive : mettre en marche le moteur.
Le moteur. Ça devait arriver.
Petit moteur chinois qui marche selon ses envies, Djian Dong et moi avons tout à apprendre l'un de l'autre. Corentin me confie quelques astuces pour les tentatives de démarrage. Important, toujours s'emballer la main dans un tissu, afin de protéger la main qui peut souffrir pendant l'opération. Pas de démarreur, il faut utiliser la manivelle. Une tentative, deux tentatives.... trois, quatre, cinq et beaucoup d'autres. Je n'y arrive pas. Dehors, Corentin m'encourage "le moteur est peut-être froid, ou un peu encrassé", il descend et tente sa chance. Évidemment, il réussit du premier coup. Le moteur fait trembler tout le bateau, dix minutes plus tard, on coupe le moteur. Il faut que j'essaie encore. J'essaie de trouver la bonne position, de trouver les bons gestes... "Ah! il a crachouillé! tu n'es pas loin!" malgré ces petits signes plein d'espoir mes tentatives restent vaines et pourtant le moteur n'est plus froid. Il va falloir que je fasse un peu de muscu et que je prenne le temps de parler avec Djian Dong... mais pour le moment, je ne parle ni moteur, ni chinois. L'atelier "moteur" aura duré deux heures. Corentin appelle à Concarneau "Nous serons un peu en retard..." Il remet en route le moteur (bien trop facilement à mon goût) et nous avançons un peu.
Tara Tari à Concarneau
Le vent revient doucement ce qui nous permet quelques bords sous voiles et nous entrons enfin dans la baie de Concarneau. Lentement mais surement.
Concarneau est située dans le sud du Finistère, dans une région appelée la Cornouaille. Pendant longtemps, la principale activité de Concarneau était son port de pêche, mais aujourd'hui, le tourisme et la construction navales sont devenues les principales activités. La ville est centrée autour des très beaux remparts de sa ville-close et du port. Concarneau se dit Konk-Kerne en breton, soit 'baie de Cornouaille' (konk ou conc veut dire anse ou baie et Kerne signifie Cornouaille).
L'arrivée dans le port est superbe. Nous tirons des bords entre les murailles et l'autre partie du port, Corentin barre et je gère les voiles. Nous surveillons la moindre petite risée.
Tara Tari à Concarneau, le 20 Octobre 2011. |
Il doit être 16h, et non - si c'est la question- nous ne sommes pas vraiment à l'heure pour la réunion de Corentin. Emmanuel Poisson-Quinton vient à notre rencontre et nous accueille au ponton de Kaïros. Une douche, et un café bien chaud. La réunion peut enfin commencer. L'équipe de Kaïros, menée par le navigateur Roland Jourdain, mène un projet de recherches sur sur des matériaux composites plus écologiques que les matériaux habituellement utilisés dans la construction navale. Kaïros va aider l'association Watever dans les recherches sur la fibre de jute.
Tara Tari est amarré au ponton de l'ancien monocoque Veolia Environnement et se prendrait presque pour une bête de course. Une bonne nuit à Concarneau et je repartirai demain matin vers Lorient.
Merci à l'équipe de Kaïros pour son accueil et sa précieuse aide !
Capucine
photos arrivée à Concarneau Françoise Neige
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