samedi 2 juin 2012

folle nuit et arrivée à Lanzarote

En mer. 20 mai 2012. plus très très loin des îles Canaries... :)

Vous aviez remarqué? Sur la photo de mon plat de pâtes, en regardant un peu plus loin que le fond du sachet, on peut voir que j'ai le pied droit posé sur le 'mur'. Ma chère maman m'a pourtant toujours bien appris à ne pas manger en mettant les pieds sur les murs, mais là honnêtement je n'avais pas beaucoup le choix. C'était ça ou patatras! Car ce que la photo ne dit pas, c'est que là nous avançons à 5,5 noeuds et qu'en plus d'aller super vite, TaraTari fait un peu de oulaoup avec la houle de l'Atlantique. Super pratique pour dîner, je ne vous raconte pas.

La houle n'est donc pas source de grand grand confort à bord. Mais ce qui m'agace un peu dans cette houle, ce n'est pas l'inconfort, c'est qu'en étant si bas sur l'eau, ces collines bleues cachent l'horizon et il est impossible de voir venir quelconque navire! Du coup, c'est un peu tard que l'on voit les cargos surgir. Un peu tard, mais jamais trop tard. En effet, il faut se dire que 1) le cargo voit Tara Tari sur son écran d'ordinateur, 2) avec du vent, nous pouvons manoeuvrer à temps, même tard pour s'éloigner du danger. "Et le Mer Veille ?!" me direz-vous; Ciel et Marine m'avait offert un super Mer Veille, petit boîtier magique qui fait bip quand un bateau approche mais avec mon problème d'énergie, il ne peut pas fonctionner correctement. Alors à bord, en attendant que je règle ce petit souci d'énergie, ce sont les yeux font office de détecteur de radars. Super pratique, je ne vous raconte pas.

Ce soir, par exemple; grand classique : on ne voit rien et puis hop, un porte-conteneurs apparaît à notre arrière bâbord!

Un petit relèvement ou deux et puis on pousse un peu la barre, pour être à 90° de sa route...


 Et on reprend notre cap quand tout est ok.


Là, on se dit qu'on a bien fait de s'écarter un peu et on dit au revoir au bateau et à ses petites boîtes.
Occupation relativement fréquente.

21h. Le vent se renforce et nous prenons un deuxième ris. Tara Tari file toujours à 5,5 noeuds et le soleil se couche et c'est encore super joli. Super joli du genre on ne s'en lasse pas. La navigation n'est pas très confortable mais curieusement nous nous y sommes habitués et prenons plutôt du plaisir à aller vite. Parce que 6 noeuds, pour TaraTari c'est plutôt rapide. Belle soirée... peut-être parce que si ça continue comme ça: nous serons arrivés demain.


22h. Nous sommes sur la route mais le vent se renforce et la houle est de plus en plus forte. C'était une bonne idée d'apprécier la soirée parce que la nuit s'annonce assez musclée. On remet cirés, bottes, gilets de sauvetage... les harnais et les longes sont à poste: nous ne les quittons jamais.

23h. Là, l'idée c'est d'arriver à ne pas trop partir au lof, parce que un peu à notre tribord, il y a un caillou qu'il faut éviter. Il s'appelle "Roque del Este" Rocher de l'Est si je traduis, certainement parce que c'est 1) un rocher, 2) il est juste à l'Est de l'archipel des Canaries.

La mission est assez délicate, parce que nous avons réduit la surface des voiles au maximum (sans rien affaler complètement pour autant) et à cause de la houle nous enchaînons les départs au lof. Je suis très attentive à la route, le petit GPS marche à fond. Ce qui est certain, c'est que dans les conditions que nous avons, il est préférable d'aller se mettre à l'abri sous le vent de l'île de Lanzarote et de donc pas aller vers l'île de Graciosa. Mon regard balaie l'horizon à 360°: RAS, j'entre dans le bateau, où Maxime dort plus ou moins et je fais un point sur la carte. Mais assez vite, nous entendons un petit bruit; quelque chose a touché la coque, alors je sors vite voir ce qu'il se passe en pensant que cela a dû être une tortue ou un bout de bois puisque nous avons croisé plusieurs tortues et aussi pas mal de bouts de bois. Je me penche sous le vent et c'est assez acrobatique, car la bôme est très basse et le bruit venait pile de là où c'est super dur de voir, sous la grand voile. J'ai le bras gauche à moitié dans l'eau, penchée pour regarder la coque, quand soudain: 2 feux très nets surgissent entre deux vagues. Je fronce les sourcils: "C'est quoi c'est deux feux alignés? Un voilier?!" Une fraction de seconde plus tard, le temps nécessaire pour que mes yeux se soient ré-habitués à l'obscurité nocturne et là, catastrophe: je distingue parfaitement mais vraiment parfaitement la silhouette noire d'un cargo! Il n'est qu'à quelques mètres de nous, enfin 100 ou 200 mètres peut-être! Je crie à Maxime de sortir: "Max!!! SOOOORS!!!!", mon ton est aussi déterminé que celui des participants de Fortboyard voyant la célèbre clepsydre, horloge à l'eau, venir au bout du temps accordé. c'est dire si je suis determinée. Maxime sors la tête de la descente et pense que mon alerte concerne le bruit que nous avons entendu; il regarde sous la gv comme il peut et voit le cargo de plus en plus proche. Nous nous jetons à l'arrière du bateau, je vire le pilote que nous avions dû amarrer à la barre, et hop nous lofons en grand! En très grand! La mer est bien formée avec une houle pas possible et nous nous prenons des tonnes d'eau sur la figure, mais là dans l'instant on s'en fiche pas mal. Nous n'avons eu le temps de rien, sinon de nous échapper In Extremis. Tout cela se passe en une ou deux petites minutes. Le cargo passe à notre arrière.... et nous soufflons un grand coup! Wouaou..... il s'en est fallu de peu! Nous en rions nerveusement. Et je me dit alors: "Tara Tari a vraiment une bonne étoile! je n'ai pas vu le cargo avant d'entrer faire mon point et sans ce bruit qui n'était autre que TaraTari qui nous disait 'youhou les gars, il se passe quelque chose dehors, faudrait sortir voir si on est bon là?!" .. je soupire de soulagement "Merci Tara Tari....!!!" pfiou. Avec Maxime on se dit aussi que la silouhette du cargo tout proche était exactement comme ces images effrayantes que l'on voit pendant le stage ISAF (c'est un stage de sécurité et de survie en mer). Quelle émotion!!

Il faisait nuit, et nous avions tout de même un peu voire beaucoup plus de distance entre nous, heureusement, mais, pour les émotions cela reviendrait à ça, en admettant que Tara Tari soit le dauphin.... 

Plisson
Enfin, peut-être que le cargo avait vu Tara Tari: je me souviens qu'à Valence, les cargos ne modifiaient leur route que d'un ou deux degrés, calculant le strict nécessaire pour passer "à côté". Toujours est-il que vu de Tara Tari, la scène était assez impressionnante.

Le 21 mai. minuit. "Collision évitée de peu. Le vent ne cesse de se renforcer et la houle se creuse: les choses se corsent". C'est la dernière chose que je note dans le petit cahier avant d'ajouter :"Nous voyons les lumières des îles Canaries! Magique!"

3h. C'est bon, nous sommes passés assez loin du rocher à éviter et filons à plus de 6 noeuds vers l'île de Lanzarote. La houle est grosse mais plus longue que les vagues que nous avons eu dans le détroit; mais question confort, ou plutôt d'inconfort, c'est à peu près pareil.


L'idée est d'aller sous le vent de l'île histoire d'arriver quelque part dans des conditions moins musclées. A plusieurs reprises, Tara Tari se couche, se redresse, se re-couche et se re-redresse...

3h30. Nous sommes en plein milieu de cette nuit complètement folle et alors que je suis seule dehors, accrochée à la barre, accrochée au cou de Tara Tari, je tente de suivre au mieux notre route.


La mer est puissante.
Le spectacle qui a commencé dans la soirée donne des frissons. C'est dur pour nous, mais c'est tellement beau. Quel charisme! Ce n'est pas la première fois que cela me fait ça: les conditions pourraient me terrifier et pourtant c'est dans cette mer majestueuse, je savoure mon plaisir d'être au large. C'est grisant. Et voir Tara Tari gérer si bien dans ce vent et cette mer... quel plaisir! Et puis les phares de Lanzarote... ces feux blancs qui percent la nuit si noire. C'est si fort, tout ça. Déjà 11 nuits en mer et cela joue certainement, avec la fatigue et l'ivresse certaine que la mer procure à bord d'un si petit bateau, j'ai l'impression que les sentiments sont démultipliés... j'aime écrire, mais ça, cet étrange sentiment de bien être au large, je ne saurais le décrire.

Pourtant j'aimerais bien réussir à partager ces frissons. Si je n'arrive pas à décrire ce que je vis, je peux en tout cas essayer de vous faire sentir le charisme des éléments et l'ambiance de cette nav', il y a, il me semble, une musique et une voix suffisamment 'puissantes' pour vous mettre dans l'ambiance de cette folle nuit dans l'océan.
> Il faut, avant de cliquer sur le lien, mettre des écouteurs pour n'entendre que cela et mettre le volume à fond, car les vagues font un bruit de dingos. Ensuite il faut continuer à lire ce texte -enfin si ça vous dit toujours- avec cette musique et cette voix en fond sonore et, j'insiste, avec le volume à fond: Organisez-vous et CLIQUER ICI. Puis revenez vite :)

Maxime prend la barre et je me mets à la nav. Sur la carte,  nous devons impérativement réussir à rester sous une droite tracée vers un cap de l'île qui une fois passé, nous assurera d'être à l'abri du vent. Derrière ce cap, tout sera plus tranquille, enfin un peu plus tranquille. La houle est impressionnante et le cap (direction) dur à tenir. Plus d'énergie, nous n'avons plus de feux de mât et plus de pilote.... J'ai changé prématurément les piles du petit gps qui a interdiction formelle de me lâcher maintenant, et je le tiens bien en main. Je ne cesse de dire à voix haute notre cap, presque à chaque passage de la houle, afin de donner des repères à Maxime. Il faut absolument rester sous la droite. Nous allons si vite que je dois faire des points sur la carte toutes les 5 minutes: ainsi je peux dire à Maxime s'il faut lofer ou abattre... mais globalement, et dans cette mer de dingos (j'insiste) nous sommes bien sur la route et sincèrement, je trouve que notre trio gère trop bien!

Nous faisons la route parfaite, pile où nous voulons être
Mais la barre est dure à tenir: nous sommes au portant et ce sont désormais les empannages non-désirés qui s'enchaînent. A l'intérieur du bateau pour faire mes points, je me fais malmener! Le bateau se couche sur un côté, puis sur un autre: tout valse! Même le gros bidon blanc amarré dans le fond parvient à faire un looping et se pose sur la tête, du jamais vu. Et c'est la caisse des batteries qui bouge désormais; je fais au mieux pour sécuriser tout cela, mais c'est assez éprouvant. Le pauvre Djiandong a le mal de mer et vomit de l'huile - mais je me dis qu'il est donc toujours vivant, bon signe. En pleine nuit, nous savons que nous sommes proches, et bien que j'aime le large... là, ça fait des heures que ça dure et j'avoue que nous avons vraiment hâte d'arriver et que ce cirque se termine. Ah oui, parce que la nouveauté de cette deuxième partie de la nuit, c'est que l'eau re-rentre à l'intérieur! Alors je reprends mes vieilles habitudes et écope à coups de seaux d'eau, entre deux points que je tente de faire comme je peux sur la couchette qui reste l'endroit le moins trempé. Dehors, Maxime hallucine sur les conditions, et tente de me prévenir en criant des "vaaaaague!!!" pour que je me prépare à valser à l'intérieur! C'est que ça déferle, dehors! Et dedans un peu aussi...

7h. Nous avons enfin passé le cap qui nous permet de dire que nous sommes sous le vent de l'île et attendons qu'une chose; que les conditions se calment enfin un peu.... ça tarde à devenir vrai, mais enfin, la houle retombe comme un soufflé au fromage tout juste sorti du four. Nous faisons route vers Arrecife parce que je me dis qu'il doit y avoir un port.

8h30. Nous entrons dans le chenal d'Arrecife... le jour est là et un joli petit bateau de pêche en bois nous salue dans le chenal, au moment même où je vois qu'il n'y a pas de quai alors je leur demande: "vous savez où il y a un port pas loin?" et ils répondent qu'à quelques milles de là, plus au sud, il y a "Puerto del Carmen". Et nous repartons vers la mer.

9h. Toujours deux ris dans la grand voile. Petit café, nous sommes rincés par cette folle nuit... mais curieusement nous sommes en forme. Peut-être encore un peu sous l'adrénaline de la nuit. On nous aurait dit qu'il fallait encore continuer pendant des jours, peut-être aurions nous été ok. Nous allons bien. Je suis à la barre et Maxime regarde la côte vers le Sud avec les jumelles, des mâts de bateaux se distinguent au dessus d'une digue, pas d'hésitation, nous y allons.

L'île de Lanzarote vue de la mer, c'est assez fantastique: des volcans et des déserts. C'est lunaire. Je n'ai jamais été ici, Maxime non plus, et nous sommes très impressionnés par ce que nous voyons.

Il est 9h30 ou 10h, je ne sais pas trop, et nous arrivons au port... J'appelle le Port del Carmen avec le peu de batterie vhf qu'il reste, mais personne ne répond.. Peut-être normal, puisque nous sommes en approche du port Calero! Il faut dire que je n'ai pas de carte plus précise que celle que vous voyez là, ci-dessus. Manoeuvre compliquée à la voile avec la gv sous 2 ris et face au vent, mais tout va bien et TaraTari est enfin amarré, après 11 jours de navigation.

Arrivée à Lanzarote, le 21 mai 2012.
Je marche comme si j'étais saoule, mais arrive à suivre le marinero qui me conduit à la capitainerie. Présentation des papiers et autres formalités et je reviens au bateau. Je n'arriverai pas à vous dire mon bonheur d'être là. J'enlève ciré et bottes, regarde Tara Tari, et j'ai les larmes aux yeux. Emotive certainement, fatiguée, c'est évident.

Vous n'imaginez même pas le bonheur que j'ai eu en enlevant mon ciré, mes bottes et mes chaussettes. Tout était trempé et le sel a momifié mon ensemble si glamour. Elle est là, la vraie délivrance, quand on enlève ciré, bottes et chaussettes après une bonne baston en mer.

moi je suis rincée et mon ciré, lui, mérite de l'être

Nous rangeons un peu le bateau. Comme on l'aura compris, plus de batterie dans rien du tout, alors là je me dis qu'il faut absolument que j'arrive à trouver de quoi dire au moins à mes parents que tout va bien et que Tara Tari est à bon port. Mission réussie: mon père me rassure, ils n'étaient pas encore 'trop inquiets' mais il ne fallait pas que nous ne tardions encore trop non plus.

Nous allons pouvoir nous reposer un peu, mais avant... il n'est peut être que 11h30 du matin, nous trinquons avec une bonne bière fraîche et qui me semble être aussi forte qu'une vodka. Je suis épuisée. Heureuse mais épuisée. direction le bateau pour dormir un peu.

Merci Tara Tari, tu as été parfait et aucune avarie majeure à l'arrivée, c'est bien.
Merci Maxime, je sais que cela n'a pas été facile..

Le large était si grisant. c'était dur, j'avoue, mais j'ai aimé, j'ai adoré cet océan et je sais que j'ai envie de continuer. Alors Tara Tari mon tendre ami, si tu es ok, nous allons continuer notre beau voyage,
what we are living for.
Capucine


2 commentaires:

  1. Bienvenue au Canaries Capucine... Si tu as besoin d'infos sur les bon plans aux Canaries, n'hésite pas à demander.
    Mais fait vite car la Boiteuse décolle en milieu de semaine pour le Brésil. Dommage, elle ne croisera pas le petit bateau orange... Ce n'est pourtant pas faute d'avoir espéré.

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  2. Merci d'avoir raconter cette traversée. Pour moi,tu a reussi parfaitement "faire sentir le charisme des éléments et l'ambiance de cette nav'". Bonne repos.
    Il faudras résoudre cette petite probleme d'enrgie :-). Une petite paneau solaire orientable devrais souffire.

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