vendredi 23 mars 2012

Dérive, la contre attaque.

En mer. en approche du Cabo de Gata.

Nous sommes donc là.
Encore et toujours là.
Toujours sous la pluie.
Toujours un peu collés sur l'eau.
Toujours en approche du cap de Gata.
Le moral est bon: derrière nous, le phare de la Media Naranja est de plus en plus petit.

le phare de la pointe Media Naranja, passé depuis belle lurette
Quelques heures plus tard, la pluie cesse enfin et le soleil perce les nuages. 
Le vent d'Est tombe, et c'est bien dommage car après plus de 50 heures sous la pluie, je pensais que nous serions récompensés par un vent favorable qui nous laisserait enfin passer le cap de Gata.
Mais non.

Après une matinée de pétole, le vent de secteur Sud Ouest se lève violemment. Je vois le truc venir et prends un ris. "Tara Tari, ça va souffler fort! préparons-nous!" je file dans le bateau, vérifie que tout est bien amarré, déplace ce qui pourrait se casser la figure et ressors aussitôt sur le pont. En quelques minutes, les vagues se soulèvent et le vent siffle un air strident. Une rafale un plus costaude nous couche sur l'eau. Tara Tari se redresse. Je prends un deuxième ris, mais nous sommes toujours trop toilés.
- "Voyons bonhomme, c'est quoi ces manières? on ne se tient pas vautré comme ça dans cette maison!" je plaisante avec TaraTari, en espérant que le vent va mollir un peu.
Mais non. Au contraire. ça monte, et j'affale vite la grand voile.

Pendant trois heures, nous tirons des bords inutiles. J'ai pris des repères sur la côte, il me semble que nous reculons. Il faut dire que je n'arrive pas à virer. Dès que Tara Tari se retrouve face au vent, les vagues l'empêchent de changer d'amure. Je reste calme, et essaie plusieurs fois. Relancer le bateau en reprenant un peu de vitesse et hop, on vire. Mais non, ça ne passe pas. Tant pis, j'empanne. Et empanner quand on veut avancer au près, ça n'aide pas. C'est la lutte. Les vagues sont toujours aussi désagréables, courtes, hautes. ça déferle dans tous les sens.

Le problème c'est qu'avec la pluie et la pétole, je n'ai pas dormi du tout depuis 48h et je me sens donc un peu fatiguée. Les vêtements toujours trempés, je me sens fatiguée. Je regarde la mer qui n'a pas l'air de vouloir se calmer, et le vent non plus. Je remarque aussi que nous dérivons vers l'Est.
"Avec ce vent fort du Sud Ouest, nous n'arriverons pas à passer, Tara Tari. On tente encore quelques bords, et on avise. Mais je sens que ça va encore être un retour au port."

Par Vhf, je contacte le petit port de San Jose. Sans moteur dans ces conditions, il est impossible d'aller s'y abriter et eux n'ont rien pour nous remorquer. "Si vous avez besoin d'aide, appelez les Sauveteurs en Mer". San Jose est a une trentaine de milles de là où je viens. Je suis désolée de ne pas pouvoir entrer dans le port. Mais pas le temps de se lamenter. J'empanne mais cette fois pour faire route vers le Nord. Par VHF toujours, je contacte le port de Carboneras. Petit port attaché à une centrale thermique, pas vraiment fait pour les voiliers, à 10 milles au sud de Garrucha. Personne ne répond et vu les conditions de mer, je préfère ne pas m'y aventurer.

La fatigue ne m'aide pas à réfléchir intelligemment. Je ne sais plus si être contente de ma décision de jouer la sécurité, déçue de ne toujours pas passer le cap. bref, c'est un peu confus dans ma tête. Porté par le vent, surfant les vagues, Tara Tari est stable. Alors, attachée, assise au dessus de la descente, je regarde le Cap de Gata s'éloigner. Je ferme les yeux et m'accorde quelques secondes réparatrices.

où sont le vent et les vagues? exemple d'une photo qui ne parle pas d'elle même
Sous foc seul, nous avançons désormais au portant, vite, très vite vers le Nord. Je n'ai pas l'habitude de voir le paysage défiler si vite. Je branche le petit GPS: qui m'indique notre vitese : 6,8! je n'ai jamais été aussi vite! 7,1!! oulala. ça va trop vite, ce n'est pas bon pour Tara Tari ça! Je vais à l'avant pour prendre un ris dans le foc. Mais nous dérivons beaucoup vers l'Est, et cela va vite devenir un problème, car si je ne fais rien, d'ici quelques heures nous serons à Cartagena ou même à Barcelone! Je relâche le ris du foc et passe à l'action. Quelques mois après "pétole, la contre attaque" voici "dérive, la contre attaque"!


Je file dans le bateau, note sur ma main la position du port de Garrucha et prends le GPS. Je regarde notre position, surveille le cap indiqué par le GPS, et attends 5 minutes. Au bout de 5 minutes, je relève notre position. 5 minutes plus tard, je recommence. Et 5 minutes plus tard, encore. Cela me permet de voir à quelle vitesse nous dérivons vers l'Est. En effet, il est urgent de faire quelque chose. Cap à l'Ouest. Je vise le début de la plage de Mojacar, situé à 5 milles au Sud de Garrucha. Normalement ça devrait être bon. Assez vite, et parce que nous nous rapprochons de la côte, les vagues sont moins désagréables, et le vent un peu moins fort car les falaises nous protègent. Bonne option! Et avec les jumelles, je repère l'entrée du port: "Super, Tara Tari! Nous allons réussir! youpi!"


Et voili. Nous avons réussi.

Retour au port n°5.
ça pourrait être le nom d'un parfum,
senteur d'amertume.

Next time, peut être.
Capucine

1 commentaire:

  1. San José... Pour moi le port privé le plus cher de la côte andalouse. En avril, 50 euros pour 11 m, je les ai encore en travers de la gorge !

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