jeudi 29 mars 2012

Itinéraire bis

20 mars 2012.

Elle est peut-être là, la solution. Dans le wd 40?! Le marchand m'avait dit "dès que ça coince, un peu de wd 40 et hop, plus de problème!". J'avais alors noté qu'il avait ajouté une petite phrase, pour conclure sa redoutable argumentation: "ça marche pour tout". J'étais alors tout à fait convaincue.
Quelques mois plus tard, je tente donc cette nouvelle option; mets tous mes espoirs dans ces deux lettres et ce chiffre 40.


Bon. Bah, visiblement, ça ne marche pas pour tout. J'ai eu beau faire "pschit" plusieurs fois sur le Cap de Gata. Rien ne bouge. Nous sommes toujours coincés et contraints à faire demi-tour. Déception.
Encore une.
Questions- réponses.

Quel est le problème ?
A l'approche du cap, le vent se renforce et la mer se soulève. Tout cela très fort et à chaque fois, nous avons eu le vent de face et les vagues contre nous. Depuis La Ciotat, j'ai fait face à des coups de vent très rudes et violents, mais là c'est la lutte depuis le Cap de Palos. Et ce fichu cap de Gata, j'ai essayé de le passer, mais je n'ai pas réussi. Toutes ces tentatives sont éprouvantes. Physiquement mais aussi moralement. Moralement, car j'imagine toujours que les fichiers météo disent vrai et je me réjouis parfois de voir un vent annoncé favorable.. la réalité sur le terrain, différente, ne surprend plus mais déçoit. un peu à chaque fois. Sans moteur, quand il n'y a pas de vent, nous stagnons, et quand le vent souffle c'est systématiquement très fort et nous progressons sous foc seul, au près ou au portant et parfois sous foc arrisé. Les vagues, le noeud de courant au niveau du cap nous poussent vers le Nord Est. Rentrer au port, une fois, deux fois... six fois, c'est dur. Et puis physiquement, je ne dors pas beaucoup voire pas du tout, je mets toute mon énergie à vider à coups de seaux, toute l'eau qui entre, et mes jambes me font mal. C'est dur pour moi, toute seule.

Naviguer en solitaire, c'est bien, mais cela ne signifie pas ne pas avoir besoin des autres, et j'ai donc essayé de me faire aider pour passer ce fichu cap. Mais ici, les gens ne naviguent pas. Aucun voilier à l'horizon. Enfin si, j'en ai vu passer un, au moteur devant San Jose. Je l'ai contacté par VHF, il m'a ignoré, j'ai insisté, il a fini par répondre et par venir. Un immense voilier de luxe. Pavillon îles Caïmans. Ils sont désormais tout près:
- "Bonjour Messieurs, pourriez-vous m'aider en me remorquant 10 minutes jusqu'au petit port de San Jose? Il n'y a pas de vent, je ne peux pas avancer sans moteur et je sais qu'une tempête arrive." En voyant le bateau arriver j'ai même préparé un petit sac avec un fromage que l'on m'a offert, pour les remercier. J'étais certaine qu'ils m'aideraient.
Un gros plein de soupe, cigare au bec et le ventre rempli de whisky, me répond en me coupant la parole :
- "Tu as de l'eau et de la nourriture?"
-"oui"
- "alors nous allons continuer notre route, nous avons un cocktail à 19h à Carthagène..."
Et les gentlemen sont partis.
Et j'ai rangé le fromage
et ma naïveté.

J'ai appelé le port de San Jose, leur expliquant mon problème, leur demandant un peu d'aide. Mais ils m'ont dit sèchement "si tu es en danger, tu appelles les sauveteurs en mer".
"Ok, ça ira, ne les dérangeons pas, je vais me débrouiller". merci pour votre compréhension.
Le port de Carboneras (commerce et pêche): personne ne répond.
Sans moteur trop dangereux de m'aventurer vers l'entrée. Le retour à Garrucha est la solution la plus raisonnable, et avec Tara Tari, usés pas ce cap et par notre déception, nous tentons de faire au mieux.
 
Par gros temps, même les bateaux de pêche rentrent se mettre à l'abri, ici, ou ne sortent pas. Pas une coque qui flotte. Au ponton d'attente à Garrucha, je surveille les voiliers qui viendraient faire le plein d'essence. Trois ou quatre gros catamarans Lagoon, flambant neufs sont passés. J'ai essayé de parler avec eux, pour qu'ils m'aident à passer le cap. Mais les équipages anglais emmènent au moteur les gros cata vers la Croatie et la Grèce. Impossible de nous aider. Et tous me confirment que les vagues et le vent étaient "redoutables", là-bas. Quant aux gens du coin, ils m'encouragent tous avec des "tu n'y arriveras jamais! laisse tomber!" ou encore "une femme doit être à la maison, et tu ferais bien de rentrer chez toi". Et ils ne plaisantent pas.

Un matin, nous avons encore tenté. Le vent n'était pas du tout ce qui était annoncé, et une succession de petites choses commencent à grignotter mon moral déjà bien entamé quand je découvre le message d'un ami qui m'annonce que les conditions vont être bien plus sportives que prévues même si annoncées au portant.. N'ayant pas Internet au port et comme je suis partie avant le lever du jour, je n'ai pas vu les derniers fichiers. Son message est la goutte d'eau en trop. J'éclate en sanglots.
"J'en ai marre, j'aimerais tellement que nous réussissions à quitter cet endroit, TaraTari"

Alors après 5 semaines de vent fort et de mer agitée, je commence à craquer, il faut que je fasse quelque chose. Syndrome de la stagnation portuaire. Au téléphone, mes parents me disent qu'il faut que je m'accorde deux jours sans regarder la direction du vent et que j'aille dormir au chaud pour me changer les idées deux minutes. C'est vrai que je n'ai pas cessé de regarder le vent et l'état de la mer et tous les jours, toutes les heures et à tout instant, c'est le même constat: un constat rongeur de moral. J'ai pris mon baluchon et je suis allée au seul petit hotel du village. 1 étoile, le vieil homme en pantoufles, cigarette au bec s'étonne de me voir là et me regarde de travers en me montrant une chambre : "tu es qui? qu'est ce que tu fais là? donne moi ton passeport". Il a fini par être gentil, mais, cela n'a pas été très chaleureux.

Les solutions.
Pour tout ça et pour tout le reste, pour de vrai, il est vraiment temps de partir.
J'ai besoin que les choses bougent et se décoincent: il faut que cela avance. Or les choses ne bougent pas toutes seules. Il faut prendre les choses en main. Je ne veux plus user ma santé et mon énergie ici. J'ai le sentiment de stagner. Alors je pris une décision : mettre un pschit de wd40 sur le cap de Gata. ça n'a rien changé. Ensuite, j'ai pris une autre décision: sortir Tara Tari de l'eau. Cela n'a pas été simple, mais grâce à l'aide de la direction du port et de Jose Luis en charge des manutentions, Tara Tari sort de l'eau. Inspection de la coque, et bricolage, je suis super heureuse car les choses bougent

Et puis j'essaie de parler avec le port, avec les capitaines des cargos : pourquoi ne pas charger Tara Tari sur un cargo pour atteindre Gibraltar? Les cargos passent un à un ici, faire le plein de gypse (comme du plâtre), principale activité du port et unique raison du passage des cargos. Mais ces cargos-là font le plein et s'en vont aux quatre coins du monde.. sans s'arrêter. Et puis il y a les papiers, les accords des armateurs etc. L'option cargo, n'en est plus une. Je vais trouver autre chose.

C'est génial de réfléchir aux solutions, aux alternatives.
Je pars vers le port de pêche, parle avec les pêcheurs qui m'expliquent qu'ils doivent être rentrés à 17h pour la criée, bref, c'est trop compliqué. L'option remorquage par un pêcheur n'en est plus une. Je vais trouver autre chose.

Contourner le cap par la route. Après tout, pourquoi pas. Je m'en veux de penser à cette option car je voulais tout faire à la voile. Mais si je voulais tout faire à la voile, je voulais aussi et surtout, tout faire en "sécurité". J'essaie de me souvenir: quand il n'y avait pas de vent ou quand la situation était critique, Corentin utilisait le moteur ou se faisait remorquer. Ici aucune de ces deux options n'est possible. Alors finalement, passer par la route, c'est utiliser un moteur... et des roulettes. Je ne sais ni comment ni quand cela sera possible, mais cela me semble une bonne option et j'ai donc décidé de continuer mon aventure stagnante en contournant le cap de Gata par la route. Tant pis pour le "j'aurais tout fait à la voile", j'opte pour le "j'aurais tout fait pour être toujours le plus en sécurité".

J'ai pris une décision, et depuis je me sens beaucoup mieux. Quel que soit le choix, bon ou mauvais, prendre une décision fait du bien, fait avancer les choses. Je mets désormais tout en oeuvre pour rendre cette option possible, sans beaucoup de moyens. Des regrets de ne pas passer le Cap de Gata à bord de Tara Tari, je n'en n'aurai pas: j'ai essayé, je n'ai pas réussi, et j'ai vu à quel point cela pouvait devenir dangereux. Tara Tari est un petit voilier qui ne va pas vite mais qui tient bon; nous avons fait ce que nous avons pu, et tout n'est pas de sa faute: j'ai mes limites physiques, mes articulations si douloureuses, l'eau que je dois vider par centaines de litres, la nav à bord de ce petit voilier que j'aime mais qui est dure, la fatigue. Enfin voilà, je n'ai pas envie de faire d'idioties, mais j'ai besoin d'avancer. Alors je retiens l'option route pour pouvoir poursuivre.

Il y a mille choses à raconter sur ce que je vis ici. Trop nombreuses pour être racontées comme il le faut ici, mais l'une des choses importantes que je retiens, est que prendre une décision fait du bien, soulage.
L'aventure continue. Autrement au niveau du cap de Gata, mais cela me va tout à fait.

Etre entêtée c'est bien, mais il ne faut pas être trop têtue. Savoir accepter que les choses ne se passent pas comme prévues, accepter ses limites et trouver la parade... c'est un peu l'histoire de la vie, ça. Alors moi, Visage Rouillé demande à Bison Futé, la possibilité d'emprunter l'Itinéraire bis. Celle de l'alternative sage.

Capucine

3 commentaires:

  1. Quelle galère... Je viens de relire mon texte du 03 juin 2011 quand j'ai passé le Cabo de Gata en moins d'une heure au portant par force 5. Cela avait été tellement facile que ce que tu vis ne m'en parait que plus injuste. Mais de là à envisager la route, je me dis que la situation doit être encore pire que ce tu racontes.
    Si finalement tu choisis le portage, fais toi déposer carrément à Gibraltar, au moins tu en auras fini avec cette belle traitresse qu'est la Méditerranée. Pendant que tu y es...

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  2. Courage Capucine! On est loin, mais on est avec toi!
    Prends ton temps, et ne t'épuise pas...

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